Alors, les morts, je vous parle, je vous visite, je vous vois, je vous entends, murmurer des paroles insensées, sitôt la nuit tombée, lorsque le monde des vivants dort paisiblement, vous veillez, vous attendez, sur les bords de vos tombes, assis ensemble, comme avant, comme quand vous étiez vivants, vivant, je suis et je viens jusqu’à vous, je me glisse dans vos allées, je regarde vos silhouettes décharnées, vos regards éteints, je n’ose pas encore vous déranger mais je perçois vos paroles à mon passage. Peut-être vous demandez vous qui je suis, peut-être me regardez vous de travers, peut-être vous faites vous passer le message que quelqu’un est là, quelqu’un qui n’est pas encore là avec vous mais qui va bientôt arriver. Je n’ose encore m’adresser à vous, je passe devant vos maisons éternelles et je lis vos noms, vos dates, je m’étonne de vous voir si jeune, de vous voir si triste, de vous voir si nombreux. Je cherche les amis.es, je ne les trouve pas et ne le regrette pas. J’aimerais vous poser mille questions banales sur ce que vous vivez et que je ne veux surtout pas connaitre, pas encore, pas tout de suite, encore quelques années, s’il vous plait. Je m’arrête devant vous et je vois votre épitaphe » Elle a seulement lu » – Je vous regarde étonné, elle a seulement lu, c’est le seulement qui est terrible, le seulement comme ce quelque chose qui manquerait, le seulement comme le cauchemar, le regret de toute une vie. Je me tiens debout devant vous et nous nous contemplons, émus. Sans un mot, j’aurai envie de vous toucher, vous rassurer mais les mots me manqueront, à moi aussi, parce que des regrets, j’en ai et ils seront peut-être, un jour aussi, marqués. Je marche parmi vous, flottant, et je vois vos pensées se mélanger aux étoiles. Je marche et traverse vos cimetières, je ferme doucement les portes sans clefs.
Tout en finesse et en sensibilité ton texte Clarence, à l’image du « doucement » de sa dernière phrase. Merci !
Merci Jérôme pour cette attention et tes mots si doux.
Beau passage parmi les morts, où les regrets forment des épitaphes.
Merci Clarence !
Fil, si fidèle, merci, beau dimanche à toi.
Merci vivement pour ce questionnement qui taraude, oui tellement, cet adverbe si humble et beau, « seulement », et pourtant, qu’y répondre ? « tant et tant », et encore pas assez ? comment procéder pour recueillir le sirop de l’érable de soi, la théine fière, l’huile de figue de barbarie, la mixture de sorcellerie ? simplement en oubliant, en s’abandonnant, en flairant le sol, le nez dans la terre, en oubliant le ciel, en avançant dans un jet d’eau et de lumière, en souriant dans l’oubli de tout , désapprendre en chantant, pour trouver son propre chant..; comme font les chanteuses de jazz (Dee Dee Bridgewater) qui craignent de se laisser dévier par une autre tonalité, perdre le son propre, alors accepter de rentrer la tête sous l’eau, perdre un peu les yeux, les oreilles, puis longtemps, tresser le chant, oser dire, oser montrer ce qui s’écrit en soi. Merci vivement Clarence pour votre merveilleuse présence, votre souffle, et toute cette aventure…
Merci beaucoup Françoise pour ces mots si forts et si touchants.