Imagine la petite à cinq ans, le panneau bas de la porte vient d’exploser, les parents et les petits étaient tout près, un recul, puis dépêchons-nous, ils descendent tous. Elle suppose maintenant qu’ils ont bien dû descendre et passer la petite porte en bois pour remonter très vite en haut du jardin en pente dans l’établi du grand-père en plein soleil d’été un carré minuscule de blé mûr sur la gauche la véronique sous le cognassier à droite et le pied de vigne aux maigres grappes qui ne murissent jamais, mais elle ne revoit pas du tout l’escalier en ciment ni leur descente, toujours elle revoit le panneau qui saute et la montée dans le plein soleil elle entend les avions qui grondent, ils bombarderont à cinq cent mètres de là. Donc elle est descendue et remontée comme une qui tombe et se relève toujours. Plus tard elle reprend cet escalier en pensée voit bien le panneau vert pale tomber sur les pieds de son père, marche par marche elle descend cet escalier de deux étages puis elle descendra avec son frère spéléologue, n’aie pas peur, suis-moi, cette horreur pour elle de passer dans ce boyau si serré, elle va étouffer et se retrouvera tremblante dans la grotte immense noire juste avec quelques ampoules si faibles le clapotis de l’eau et l’écho de leurs voix elle écoute et regarde, vite remonter parce que ici en bas, elle ne respire plus – regarde, là- non elle ne veut plus regarder, on lui a dit si souvent -suis-moi – ou -regarde- elle veut faire, fabriquer de ses mains, elle fera très longtemps, par moments elle fonctionnera même, trop terre à terre elle ne veut pas descendre elle restera longtemps sur la terre ferme parce qu’elle met longtemps à comprendre le monde où elle est, comme si le gouffre de la guerre avait été pour toujours le début et comme si la béance s’était insidieusement installée pour longtemps elle n’est plus jamais descendue nulle part. C’est après qu’est venue la fissure elle sera toujours là jamais colmatée, elle pense à l’immense fissure de ce monde à l’oeuvre depuis si longtemps qui grandit à une vitesse folle, cette fissure qui nous pénètre tous , et descend encore très profond. Se relever toujours ?
C’est magnifique Simone Merci.
Cette fissure jamais colmatée mais qui nous constitue