#40jours #09 | Pierre et Zoé

l’enfant dans le bus 66, venu s’assoir juste derrière le chauffeur, qui chante Laziza à tue tête (c’est tous les jours à Batignolles à la même heure qu’il monte; en vrai il  aura trente ans le mois prochain — c’est à cause de la tête vraiment trop grosse, et qu’il a pas grandi; il travaille au dépôt Boulanger; sa mère a tous les Vinyles); shorts et polo assortis, ils se tiennent par la main en avant dernière place de la file courte à l’extérieur; la vigile blonde de « Pompidou » sortie fumer et son avant bras tatoué monte et descend mécaniquement (… le film celui qui a eu le prix l’année dernière, la femme — tu vois pas ?—  avec la fille enceinte de la voiture qui devient le fils du flic… elle partage l’abonnement avec Aziz et Lou, elle l’a vu hier: trop le choc ); quelque part Pierre, c’est le prénom qu’elle dit, tend une cigarette à Zoé, c’est le prénom qu’il dit; Pierre aime Zoé qui hésite; boulevard de Belleville elle tient la laisse télescopique et lui les fleurs, au bout le chien défèque; les sandales à perles et strass et talons bobine de la femme au foulard, penchée elle regarde le paysage défiler à la vitesse des passants dans le grand embouteillage du soir; profil, une oreille comme une conque, une oreille porte le visage qu’on ne voie pas et Bagnolet sous la pluie ( il a lu le truc, le livre, à cause de la radio, la philo il l’écoute en replay, depuis il a plus envie, juste rien… se coucher, regarder le plafond, mais quand elle se déshabille ce soir, il bande); un autre jour plus loin quelque part, celle qui s’accroupit entre deux voitures et le jogging baille sur le torse maigre; « l’ennui avec le réel c’est qu’on a peine à y croire », elle le regarde vaguement et entortille une mèche de ses cheveux mi courts très bruns, quand elle descend — elle c’est Epinay Villetaneuse: un CDI, le pavillon, deux enfants—, elle se retourne et lui fait un petit signe de la main qui entortillait les mèches; lui c’est à Gros noyer qu’il descend ( t’as vraiment pas de chance); et le pull façon macramé qui sort l’orange du sac Kraft;  « c’est souvent trop petit ou trop grand l’avantage c’est qu’on peut renvoyer le colis »; les dents blanches de la fille qui se sourit sous l‘abri de la gare du nord; entre Saint-Lazare et Batignolles le même qui chante Laziza et Daniel Balavoine qui a écrit Mon fils ma bataille est mort depuis quarante ans ( sa mère elle l’a le livre, dédicacé: à Marie, c’est quand il était pas né qu’elle l’avait acheté le livre, sa mère ); quelque part cette valise qui n’appartient à personne; dans la file du Carrefour un homme achète un sac hermétique: que le chien depuis qu’elle était à l’EPHAD il le gardait dans son studio et qu’il en était mort de chagrin, le chien; rue Affre deux joueurs d’échec en boubou avec table et chaise pliante et l’enfant sur la bicyclette rouge trace des cercles avec ses pneus sur le trottoir; un t-shirt blanc et un Pork Pie il se roule une cigarette sur le banc ( il attend; il attendra deux ou trois heures s’il le faut, il n’a plus le choix); une foule mutique regarde on ne sait quoi et à côté il y a cinq kilo de pommes de terre dans une poussette. Ce soir quand Pierre téléphone à Zoé elle lui dit qu’elle part pour Berlin. Elle est prise; et puis Berlin c’est pas loin. Pierre ne dit rien.

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

6 commentaires à propos de “#40jours #09 | Pierre et Zoé”

  1. (le film, non, je vois pas) (« je te veux si tu veux de moi » hein – ah l’aziza (c’est le deuxième prénom d’une de mes sœurs imagine-toi) – ça fonce, le 66…)

  2. C’est fou, Nathalie, comme les collectes si diverses, multiples, que vous faites dans le réel, se transmutent en un fleuve si fluide et si puissant. Si important qu’il emporte celui ou celle qui vous lit, comme si vos mots liaient, faisaient liens, lianes. Le fleuve de vos mots-liens, de vos écritures-lianes à la force , la séduction, l’intelligence du rhizome. Ecriture-iris, mots-bambous. Merci Nathalie de nous envahir ainsi. Merci.