Entrée dans le hall du cinéma, la robe balayant le sol, elle paye sa place, puis se met à parler toute seule jusqu’à l’ascenseur qui dessert les diverses salles. Une exubérance l’a saisie, elle soliloque, gestes à l’appui puis s’engouffre dans la salle numéro 3.
Un petit garçon très blond au bord du chemin le long des jardins ouvriers, sa mère et sa sœur sont assises sur un petit talus, et lui tourne le haut du corps vers moi et me fixe avec ce regard dur et froid , le regard d’un adulte, et ne répond pas à mon sourire.
C’est la chanteuse des rues, que l’on rencontre à chaque fois ou presque que l’on déambule dans le centre-ville. Tout habillée de noir, elle tire son caddie avec son lutrin et ses partitions à la recherche d’un de ses coins favoris pour lancer ses chansons. Elle marmonne et salue ici ou là des silhouettes croisées, puis s’arrête devant la vitrine où trônent des macarons, sort son matériel et entonne Les amants de Saint-Jean.
C’est une voix qui sort d’un corps sans doute, mais une voix comme habitée par plusieurs personnes, avec des intonations graves qui résonnent sur les murs des immeubles.
Dans l’allée d’une grande surface, au rayon des ustensiles de cuisine, un couple sans âge, mais un peu âgé quand même, se tient devant les casseroles. l’’homme se tourne vers sa femme et d’une voix claire dit : tu comprends rien et tu voudrais réfléchir ! Elle ne répond rien.
Elle marche à petits pas, légèrement voûtée, un sac à provisions qui pend au bout de son bras. Je sais que ce n’est pas elle, mais on dirait tellement sa silhouette et sa démarche que malgré tout, je la double pour voir son visage. Je sais bien que je suis allée à son enterrement il y a quelques mois.
Elle tient le bureau de vote pour les élections législatives ( elle le tenait déjà pour les présidentielles). Non, elle ne tient pas le bureau, elle règne dans la salle, et d’un œil gourmand tente de tout diriger, de tout contrôler, sans oublier de lâcher une plaisanterie de temps à autre qui ne fait rire qu’elle. Sur le visage d’un assesseur, qui se tient derrière elle, se lit combien la journée va être longue.
Un livre dans une main et beaucoup d’hésitations dans la démarche. Le visage aussi défait qu’un lit au matin, les yeux tentant de franchir le flou environnant et les cheveux qui semblent tous vivre avec indépendance sur son crâne. Il repère un banc vide dans le jardin public, s’écroule dessus, reprend son souffle et ressuscite entre les lignes où le livre le fait glisser.
Merci pour ce texte Solange. J’aime bien « et ressuscite entre les lignes où le livre le fait glisser » et terrible le « tu comprends rien et tu voudrais réfléchir »