Pendu par un fil, rien ne me retient que cet ombilic enroulé autour d’un arbre qui penche, ses racines noueuses agrippées au massif karstique. Tout est sombre sous mes pieds. J’évite de baisser la tête, de regarder où va la corde. Le pourtour de l’entrée est lumineux. Des branches plongent avec moi au dessus du vide. Quelques mousses courent le long du boyau de l’entrée tavelée de lichens. Les dépôts de terre, d’argile, de cailloux laissent place aux premières strates cariées de pierre qui mènent ici-bas. J’actionne une sorte de manette, mon corps chute en position assise pris dans un harnais. Je contemple les lignes des blocs calcaires. Je sens un appel d’air, déjà l’angoisse que la chaleur ambiante peut me quitter. Mes jambes s’éloignent, mon corps oscille, mes bras s’étirent. La fraicheur m’enveloppe, saisit mes bras un peu gourds. Mes pieds flottent vers un environnement inhabituel. Le canal lumineux où je suis passé a considérablement rétréci au-dessus de moi. De ce goulet, il n’y a plus que l’empreinte sculptant le vide d’un rai de lumière qui me laisse voir la corde au bout de laquelle je me balance privé d’informations visuelles pour saisir où sont les limites de mon errance, bercer des illusions d’un entre deux mondes. Je continue de glisser le long de mon filament. Des voix m’encouragent à continuer. Mes bras et mes jambes se font réticents. Le vide ici-bas devient hostile, la température décline davantage. Je jette enfin un regard déraisonnable vers le bas suivant la ligne du rai. J’interroge aussitôt la corde raide alors plus large devant mon visage. En bas gît spéculaire un périmètre blanc de petite taille. Et au-delà tout est noir et creux. Les voix de surface faiblissent me parviennent avec un écho spectral. Des détails se dessinent très progressivement de cet inconnu trompeur aux contours étranges. Avant d’atteindre le sol il va falloir descendre encore. À cet instant je comprends pourquoi je n’ai rien su de l’expérience que j’allais vivre. Je m’affaisse. Et si tout lâchait. Et si une fois sur le rond de lumière, mes pieds touchant terre, j’étais abandonné-là, seul. J’appuie sur le descendeur. L’ampleur des dimensions, la voussure immense, l’entrée là-haut éblouissante de la taille d’une pièce de monnaie, tout se fait jour autour de moi dans une sensation extrême, tempes battantes, témoin suspendu jouissant du monde souterrain minuscule au bout de son fil au milieu de la nef d’une cathédrale naturelle. J’accélère la descente non sans m’effrayer encore des créatures des entrailles qui s’impatientent de m’engloutir. Mon pied se pose sur un tertre ébouleux. Même le sol n’est plus sûr.
Une expérience similaire. Et si le ventre de la terre refusait de nous rendre aux vivants quand on s’autorise à revenir dans son antre ? L’expérience physique de la séparation à la naissance n’est pas loin. C’est pouquoi votre texte me touche. La spéléo avec la lampe à acétylène allumée, m’a laissé un souvenir impérissable.Descente ombilicale, on ne peut pas mieux dire…
Une descente ultra précise, qui fait un peu froid dans le dos… Mais qui happe et ne lâche pas.
Merci Michael !