Dehors, les bus arrivent. Ils font le tour du rond-point, se garent comme d’habitude à leurs emplacements, ses grands rectangles blancs sur la route. Côte à côte d’abord pour les premiers, mais pas parallèlement, il y a toujours un angle, toujours un léger retrait pour celui qui prend l’extérieur. Et puis les autres derrière, le long du trottoir en file indienne. Dehors les bus arrivent. Les chauffeurs discutent. Des filles passent le portail. On se fait la bise, on se sépare. On monte dans la voiture de maman, on fait demi-tour. L’autre à pied prend la petite route à droite pour remonter en ville. Un pote au portail me fait signe, le pouce et l’auriculaire dressés. Je lui réponds du pouce en l’air, la main derrière le rideau bleu marine. Qu’est-ce que vous disiez… ? répétez à votre collègue qui semble ailleurs… Sur la table, ma grosse trousse noire avachie, la Creeks que j’aimais bien avec le stylo plume chromé qui fera toutes mes études, le Bic noir devant, une feuille double ouverte, la chemise en sous-main, quelques lignes, des notes qui ressemblent plus à un brouillon qu’au corrigé structuré de la prof. Sur la table en bois, des prénoms, des inscriptions, des gravures, des rayures et des petits trous. La touffe de Manu juste devant, son pull bleu marine effilé sur l’épaule, le crâne clairsemé de JLD à côté, chemise à carreaux genre bûcheron, la capuche noire du Bombers sur ma table. D’autres devant eux, et une puis table vide. L’extincteur au fond de la salle, près de la fenêtre au rideau fermé. Un rai de lumière éclaire malgré tout le coin du mur blanc. Au tableau noir, la prof écrit à la craie, papier en main. Développement d’argument expliqué par l’exemple de, telle image, telle sonorité, telle figure. Mme Brin, sa petite voix, sa tresse poivre et sel, ses grosses lunettes et ses robes à fleurs. Elle ne sait pas écrire, c’est trop petit, on voit pas. Madame ça va un peu vite, pouvez répétez s’il vous plaît ? Mme Brin qu’on appelait Brinbrin. Elle a laissé son gros sac en cuir délavé, mat, peau tannée trop souple, couché sur son bureau. Un cahier dépasse, prêt à tomber sur sa petite trousse fait de la même peau. Dans la salle, on écoute, on note, on se retourne, je te donne une feuille, je te prête un effaceur, on regarde sa montre, je t’envoie un ch’wing, je te lance bout de papier, un petit mot à remâcher tout le week-end. Dans la salle, les murs sont vides. L’affiche de l’emploi du temps sur la porte de devant, le plan d’évacuation à côté, au-dessus de l’interrupteur. Au fond, une affiche Kangourou des mathématiques, une table contre le mur, un carton dessus, une armoire métallique dans le coin près de la fenêtre. Lolo, au dernier rang, tout seul, concentré, écrit à fond, tape sur sa calculatrice, commence sûrement les exos de maths comme d’habitude. Ben et Bat devant, une petite boîte ouverte sur leur table, semblent lancer une espèce de dés roses. Fred et Caro de l’autre côté, presque couchés sur la table, cachés par les filles devant, la tête sur le coude, se regardent, parlent. Une main sur le genou. Dites donc vous là ? qu’est-ce que je disais… ? Vu votre note, j’serais vous j’en prendrais justement, au lieu d’me retourner. Et beaucoup quand on veut s’orienter dans l’audiovisuel ! À moins que ce soit l’idiovisuel ? On se redresse. Dehors, un bus s’en va, un autre prend sa place. La miss me fait coucou, et puis un doigt. (C’est ça, à c’soir, vilaine !)
… avant l’Aparté, les cochons, les cabrioles, les soleils, les petits cochons, sur le dos, sur le flanc, de traviole sur la papatte, Tu bois ! les petits cochons sur le zinc, sur le cul des verres, les auréoles de bière, Guiguiche le patron du Canot’, le perroquet dans un verre ballon, la serveuse à la tireuse, Oh le groin ! le groin ! — Tu bois ! serrés autour du comptoir, la queue pour avoir un verre, le guitariste qui s’accorde, la chanteuse, la robe à fleurs, la fumée recrachée, les amplis, les pédales, le réseau de fils, Creep dans la sono, la gueule de Mick, les petits yeux, Qu’est-ce tu dis ? les filles entrent, les cochons volent, looping, 360 en rose, par terre, Oh l’cochon ! rendez-moi l’cochon ! les culs de bouteilles, le verre ballon, les serviettes en papier détrempées, le nez de la grande blonde dans l’oreille de Guiguiche, un signe de tête, le mur de verres, le miroir, les spots, vert, jeune, rouge, le flash, la batterie, la couverture, Y aurait pas les chaussettes à Jojo là-dedans ? la chanteuse, le rouge et le noir, les yeux, le voile de fumée, Fophie, miss Marie, Anne et Manu sur la banquette, le mec balèze qui entre, les phares, Douzième tour… les cochons volent, sautent, rebondissent, Oh l’bon jambon ! double dose ! le couvercle de la boîte de jeux, la bière dedans, l’assiette à cahouètes, la serveuse se mouche, le torchon tombe, Guiguiche s’éponge le front, la tireuse suinte, goutte, les spots flashent, Tutu et Barnabo, les yeux rouges du Beg et le sourire jusque-là, « Elle descendait de la montagne… » Alors la dissert’ ? — Hein ? — Ta note ? — Ah j’ai pris cher ! le décolleté de Marli, ses fossettes, ses yeux clairs, lèvres brillantes, Grand Gui, la chanteuse tape dans le micro, le guitariste va aux chiottes, le mec balèze aussi, le piano au fond, le décolleté de Marli, les filles éclatent de rire, la Marie la tête en avant, ses cheveux sur le visage, le mur de pierres écru, un dos, la gueule de Morrison, la télé mais pourquoi t’entends rien, l’affiche Solexine, la porte en grand et tout un groupe qui entre, une mèche rose, le courant d’air, une olive en passant, C’est quoi ces dés ? — C’est pas des dés, c’est Dédé l’cochon ! le grand geste et le fond de bière sur la chemise à carreaux, des bras en l’air, la touffe de Cecca, le cri d’une fille, les petits yeux de fine gâchette, le coup sec, les cochons volants, un sur le groin l’autre dans la bière, Ah la loose ! — Cul sec pour ta peine ! Guiguiche rapporte un carton, la serveuse remplit un plateau de cafés ? la grande blonde de retour au comptoir, un signe de la main, le mur de bouteilles kaléidoscope, la gueule du Beg éclaté, l’index en l’air, ça pousse, Oh Mick ! ça colle sous les pieds, les traces de pas, les premiers accords de guitare, les filles se lèvent, des dos, des cheveux, le mouvement de foule, ça pousse, les cochons virevoltent, sur le groin, la Marie, On s’rapproche ? « Oh Marlène dans tes veines coule… » l’œil clair, son rouge rose, le décolleté, la ligne de basse blippée, la fossette…
Tu te souviens qu’à l’époque l’expression « comme une bête » faisait florès ? Je tendrai un fil de nylon entre tes petits cochons et le sanglier dès que f nous en laissera le temps (ou nous en fournira l’occasion )
Merci de me rappeler que j’écris aussi avec mon inconscient. Je n’avais pas fait le rapprochement (ou je l’ai refoulé). — Mais je me demande qui est le plus fasciné par cet imaginaire porcin, de l’auteur qui en est le jouet, ou du lecteur quand ça lui saute aux yeux. — Mais oui, attachons-les et pendons-les au plafond, le moment venu.
Rétroliens : 40JOURS #16 Boire des paroles – Tiers Livre | les 40 jours