Au fin fond d’une poussette ou d’un lit à barreaux, je reçois et perçois le monde, sensations imperceptibles, trop lointaines, seules les photos, permettent de me souvenir de leurs réalités. Trop petite et pourtant déjà mal aux oreilles, chaque soir et pendant des années, mal à entendre, mal d’entendre, envie de ne plus entendre ? Mais les yeux grands ouverts et le coeur battant follement, trop de sensibilité déjà contenue dans un seul petit corps. Les photos permettent la résurgence des choses faites et le reste, c’est dans la tête. C’est le sud de la France, ce sont les grands-parents, les retours de fêtes de noël dans les bras d’un grand oncle, posée dans la voiture pour aller finir sa nuit dans son lit, le portail de la grand-mère et sa grande piscine, la chaleur, la croix de Jésus, au-dessus du lit devant laquelle il fallait impérativement prier, la petite table de chevet où poser l’appareil dentaire dans le verre, les longs couloirs sombres parcourus, pieds nus, la nuit pour aller faire pipi et les perceptions d’un monde adulte qui m’était interdit, la grande table de la salle à manger, où nous ne mangions pas, nous enfants, nous enfants, c’était la cuisine avec la bonne et de la purée-jambon, le concert de Chantal Goya et de la glace au chocolat, la cousine Bécassine qu’il est impossible d’oublier. Le monde des enfants, les lieux des enfants, le monde des adultes, les lieux des adultes, tout était bien départagé. En commun, la messe avec les cousins, dans les églises et leurs SDF à la sortie qu’il ne fallait surtout pas regarder, prendre en pitié, ou donner quelque monnaie. Les graviers dans les jardins ratissés avec un râteau, la balançoire dans un peu d’herbe abandonnée, et de l’autre côté de la Manche mais pas de la Méditerranée, les grands-parents anglais, Londres, et sa banlieue, le grand Londres et son métro aérien qui passait devant le jardin et faisait frémir le sol au petit matin, le hérisson ou le renard trouvé, les pieds dans la rosée, les mûres à ramasser et les doigts collants à lécher, le pudding de noël dans la cuisine à l’anglaise où nous mangions, tous ensemble attablés, la bouteille de wisky et le chocolat à l’orange, cachés dans le tiroir de la commode dans l’entrée, la télévision dans le petit salon et la BBC toujours allumée, le petit jardin d’hiver, empli des plantes, des fleurs et des jolis plats de terre que ma grand-mère avaient créés, l’escalier en colimaçon et son fauteuil électrique qui montait et descendait comme dans le film Gremlins qui m’avait tant effrayé, l’envie irrésistible de monter dedans mais c’était interdit, les musées anglais avec ses grands dinosaures, ses boutons à appuyer, les statues en cire de Madame Tussaud, et les écureuils de St James Park, le rouge des bus, et le blanc du lait frais, déposé le matin, à la porte, qu’il fallait ramasser avec le journal et l’emmener au grand père et son anglais distingué, sa canne immense et la petite grand mère, toute petite ma grand-mère, et entre les deux mondes, entre les deux pays, les déménagements, nombreux, la grande maison dans les montagnes, son jardin et sa charrette, juste derrière la porte d’entrée, une immense statue de Jésus, étrangeté infinie toutes ces statues dans une famille non baptisée, qui accueillait les passants, les promenades obligatoires dans tous les différents sentiers, les déménagements, la petite maison au bord de la mer et son square d’en face avec son tourniquet vert ou rouge, la rue Victor Hugo, la petite école de danse et son grand miroir, les tutus roses, les déménagements, sans crier gare, les départs comme des fuites, avant un spectacle d’école ou au beau milieu de l’année, des maisons dans des villes, des maisons près de la forêt, des maisons et des jardins.
Comme une liste et pourtant tout se dessine. Encore, Clarence, encore.
Oui Anne encore et encore, moi aussi je me le dis ! Bises.
Effectivement un univers se dessine dans lequel on peut se retrouver, je me retrouve sur certains points: séparation des adultes et des enfants. Le film Gremlins aussi qui m’a marqué aussi dans mon jeune âge.
Merci
Une énumération évocatrice dont on ne se lasse pas. Merci.
Une énumération qui me donne envie de continuer. En tout cas, un retour en arrière que j’avais laissé de côté pendant des années. C’est fou l’écriture ! Bonne soirée.
Formidables tous tes souvenirs! Suis impressionnée par l’évocation des sensations et impressions si lointaines: dans la poussette, dans les bras. Je remarque que ceux de Londres sont englobés dans une seule et longue phrase. Merci Clarence
Merci Cécile, effectivement Londres tient en une seule phrase. Comme quoi l’écriture nous échappe tout le temps. Je t’embrasse fort.