Je marche sur mon enfance comme sur un terrain marécageux à la recherche de points d’appui qui m’empêcheraient de m’enliser. Je sais pourquoi. Mais en parler deviendrait juste des mots posés sur du papier, je préfère donc fixer mon attention sur le pull rouge, placé un mois à l’avance sur le dos de l’unique chaise de la chambre, dans l’attente du départ, pas le dernier départ (dont je n’ai aucun souvenir d’ailleurs vu qu’il n’y en aurait plus), mais celui-ci en particulier car l’année avait été un rude chemin à traverser et qu’elle était loin d’être au bout de ses surprises. Ce pull rouge qui n’avait enveloppé aucun corps était la seule image qui m’accrochait au présent, ne constituant pas forcément une promesse, mais un point concret de réalité, impossible à défaire ou à nier. Sa seule présence arrivait parfois à oblitérer tout l’espace qui m’entourait. Disparaissaient alors, pendant quelques instants de répit, la chambre, mais aussi la maison, la rue sur laquelle elle donnait, porteuse à toute heure des ombres de la nuit, les arbres, et plus loin la grande avenue surplombée de nuages qui descendait jusqu’au pont du chemin de fer, la ville et les autres avec leur cœur que je sentais palpiter dans le mien comme un tambour géant. Il représentait aussi un défi, empêcher qu’il ne se défasse sous mon regard affolé et se métamorphose en écheveau de lin, fil d’Ariane déroulé à l’envers qui ne mènerait nulle part. Arriverai-je rescapée jusqu’à la fin de l’attente, passerai-je le cap d’une journée pour arriver au jour suivant, même sans la certitude d’un trophée à l’arrivée ? Il deviendrait définitivement le symbole d’une conquête si, dans quelques jours, quelques jours à peine, il quittait sa place pour devenir juste un vêtement neuf que l’on porte pour une occasion spéciale, un bref changement de décor.
Ridicule pull rouge posé sur une chaise de ma mémoire, banderole vive prête à me rappeler que c’est toujours et là l’enfance.
Ces retours ne sont pas faciles à raconter. J'ai fait de mon mieux, ce qui n'est jamais assez.
« Je marche sur mon enfance comme sur un terrain marécageux à la recherche de points d’appui qui m’empêcheraient de m’enliser. Je sais pourquoi. Mais en parler deviendrait juste des mots posés sur du papier »
» la ville et les autres avec leur cœur que je sentais palpiter dans le mien comme un tambour géant. Il représentait aussi un défi, empêcher qu’il ne se défasse sous mon regard affolé et se métamorphose en écheveau de lin, fil d’Ariane déroulé à l’envers qui ne mènerait nulle part. »
Comment sortir du labyrinthe ou du marécage simplement en endossant un pull rouge comme sémaphore du passé, un simple élément de décor dans le théâtre de la vie ?
Beaucoup de plaisir à lire ce texte sincère et doucement triste.Merci !
Justement j’avais pensé écrire dans une version antérieure qu’il y avait des moyens plus nobles de s’en sortir. Mais pas d’excuses, juste le pull rouge. Merci, Marie-Thérèse de cette lecture fine !
Helena, ce texte est magnifiquement écrit. J’aime beaucoup le rapport à la ville qui s’y trouve. C’est un vrai retour-enfance !
Merci beaucoup !
Merci, Fil, pour ton retour ! Cette ville prison est vraiment au centre de la bataille, oui !
vraiment beau, réussi, envoûtant
ce pull, ce rouge et ta si belle entrée en matière…
merci Helena
(avec un jour de retard, j’essaie de me rattraper aux branches…)
On essaie tous, Françoise ! Du mal à m’accrocher à la dernière en tout cas, mais il y a le temps.
Merci pour retour et vraiment contente que tu aies aimé, j’ai eu beaucoup de mal à écrire ce texte, comme si les mots faisaient défaut.
cette lecture m’émeut profondément Helena. Merci.
Oh ! Merci, Nathalie !
On est à l’endroit où ça brule, Alain André m’a dit qu’il fallait accepté d’être impudique, que c’était dans cette zone là, qu’il y avait à écrire.
Ce n’est pas facile, mais c’est nécessaire. Merci Helena.
Merci, Laurent ! Pas facile, en effet, l’écriture me dévie de ma première intention vers autre chose. Mais, tu as raison, c’est nécessaire. Si je veux écrire autre chose et autrement, il faut passer par ces braises. Merci encore !
Merci infiniment pour cette errance magnétique, hermétique, un peu douloureuse, qui ranime tant de souvenirs… oui, une braise dans l’attente de vivre, une image qui n’attend qu’à être prise, enveloppée dans le mouvement (de l’écriture) pour se déblayer de la tristesse
C’est tout à fait cela, Françoise, « se déblayer de la tristesse », juste un peu en tout cas, dans l’attente de plus de courage et de clarté ! Merci infiniment pour votre retour !
Très beau, émouvant, même un peu angoissant et superbement écrit. Merci beaucoup Helena
Merci infiniment pour votre retour, Muriel ! On ne se rend pas vraiment compte de l’effet que produit un texte sur le lecteur. C’est si mystérieux ce processus !