La vieille ville antique, qui voudrait y vivre, la ville antique a du sable jusqu’aux chevilles, ses pierres blanches rénovées, chaleureuses, aujourd’hui bat son plein, le marché de bysance, le lent frotté des couleurs soyeuses, bleu de chypre et jaune safran, l’orangé des cils et des pantalons, du vert pomme partout jusqu’aux pâtisseries qui rayonnent aux vitrines, où toutes les bouches s’agglutinent et collent là-dessus, les salives se mélangent aux chants du soleil, la fontaine sur les fronts, tous sont bénis et marchent comme reines, le poil soyeux des renardières, des cheveux coulent des fenêtres, le teint frisson et l’ample décolleté des reins, un beau coulis de myrtille descend le long des jambes, tout est long, frais, altier dans cette chaleur à morsures. Les expositions forment un festival, festin d’été au doux poitrail, les doigts gantés de bagues en améthystes, l’âme menue sous la ficelle, petits pas d’insectes qui cherchent où sustenter, les assiettes immenses forment des châteaux, un beau chapeau rempli de menthe où pose en illusoire madame sa majesté. On se glisse là en non converti, c’est pourtant là qu’il faut flâner, passer, s’endimancher jusqu’à l’esprit qui goûte aux heures défendues, le nez dans un verre de gin, l’élégance au bateau, les longues files d’aluminium qui cernent chacun des mots inscrits aux frontispice, ci-s’élève un grand, ci-repose la grande, ci-monte un cieux sur son tapis vermeil, on ne lit plus, on magasine, on traverse avec l’ambiance, on entend le rire éternué d’enfants parmi les rivières de pierres où les cloîtres accouchent en extase de petits jardins fleuris.
La traversée du fleuve est vaste et collineuse, on se croise en fermant le visage, un vent s’échappe du courant, fort et sirupeux comme un vin aigre. Les jambes tirent le corps qui peine à avancer, se piègent elles-mêmes comme enfreintes par une masse d’ombre.
De l’autre côté du fleuve, on ne voit plus la fête, les immeubles ont fermé les volets, se frottent en petits tas beiges, comme des boîtes d’allumettes, à leurs pieds tombent des animaux errants, chats maigres comme au bled, pouilleux, méfiants contournent des voitures stationnées depuis si longtemps que des herbes rêches poussent autour des pneus dégonflés, le long des routes des gens boivent des bières cachés sous le pont, leur peau est tannée comme du cuir, il fait chaud dans leurs yeux, l’alcool les a enténébrés, à la tombée du soir ils vont pieds nus, prennent le frais sur le trottoir, pourtant la chaleur poursuit sa route, toujours pesante et folle. Des hommes surtout, pas une femme en vue, excepté cette petite dame qui tire en riant son chariot de marchandises, on pourrait écouter mais rien ne vient, ni cris ni téléviseurs, ni musiques, peut-être une discussion entre jeunes au premier étage. L’accent ne rêve pas ici, pas de parole, ni grillades sur un balcon qui parfumeraient la ville, le linge ne s’étend pas aux fenêtres, ni plantes au joyeux désordre de verdure. Installé à l’arrière, dans une cour d’hôtel bétonnée et bon marché, on entend soudain, les pleurs d’une marmaille, d’abord cousue d’enfance, presque sereine et familière. Mais vers dix heures du matin, l’âpre voix de ténor, débraillée, inaudible « tais-toi ! t’en veux une ? » Une course d’enfant, l’homme vocifère, une voix rebelle de mère intervient, suraiguë, mécontente, veut dormir, c’est que l’enfant court dans la pièce, sans doute petite au rez-de-chaussée, l’énervement glacial, le petit matin dans les cris virulents, l’énervement grossit, une gifle, le silence, les pleurs, l’aboiement déraille, frappe encore. Et derrière s’élèvent si haut de vastes cyprès, qui masquent toute la scène et tous les cris de leurs palmes qui tanguent doucement dans l’espace. Juste derrière, des hommes plongent en riant dans une piscine d’eau translucide.
Superbes images et le contraste est saisissant et ça parle fort du présent.
Une succession d’images fortes et subtiles. J’ai beaucoup aimé ce déroulé déroutant et cascadant. Et vos mots.
Très dense, fluide et chantant.