Qu’a-t-il vu de ses yeux, qu’a-t-il entendu en confession pour vivre ainsi toute une vie sous le soleil de Satan ? Combien de viols, d’incestes, de grossesses cachées, d’enfants mort-nés, avortés ou étranglés noyés avant d’avoir vu le jour, combien de meurtres, de suicides, de vols, de trahisons, d’abominations, de haine pure, de violences ordinaires, combien de crimes, combien d’atrocités ? Combien de Mouchettes suicidées pour n’avoir commis que le crime de naître dans une société scélérate ? Le saint curé d’Ars en a tant vu, entendu, soupçonné, senti, pressenti, percé à jour qu’il faut bien la basilique monstrueuse qui domine Ars-sur-Formans pour les racheter, œuvre du même architecte que la basilique de Fourvière. La ferveur des Lyonnais est gigantesque à moins que ce soit leurs péchés qu’il convient d’enfermer dans la pierre. Ars-sur-Formans n’est pas loin de Lissieu (vingt kilomètres à peine) et saint Jean-Baptiste Viannay le lointain cousin de mes anciens voisins de la Buchette,Viannay comme eux et comme eux originaires de Dardilly d’une famille paysanne. Ars-sur-Formans c’est là qu’il exerça son ministère et confessa pendant 41 ans jour après jour.
Contemporain de Balzac, né plus tôt (en 1786) et mort plus tard (en 1859), il a connu plus encore que Balzac les bouleversements de la société. Il a tout connu, de la révolution à l’avènement du second empire, et même l’enrôlement dans l’armée de Napoléon dans la guerre d’Espagne dont il déserta. Comme Balzac il a connu la morgue des puissants et la puissance de l’argent (mais le donnait et savait toujours où en chercher, contrairement à Balzac qui en manquait toujours et ne savait où le trouver) et il croyait aux femmes. Aux femmes simples pas aux dames. C’est à ces pauvres filles de la campagne qu’il fit confiance pour être les premières institutrices de son école de filles. C’est bien avant la mort du saint curé d’Ars que le pèlerinage à Ars sur Formans commença et fut un temps le premier pèlerinage de France devant Lourdes. Et c’est sans doute la ferveur populaire plus que sa connaissance des écritures (il fut toujours considéré comme inculte par sa hiérarchie) et ses miracles (largement mis en doute) qui conduisit à sa béatification en 1905, puis à sa canonisation en 1925.
Le saint curé d’Ars est bien oublié aujourd’hui même si le pèlerinage connaît encore une certaine affluence, mais que nous disent le succès du livre de Bernanos paru en 1926 après la Première Guerre mondiale et la palme d’or attribuée au film de Pialat en 1986 ? Année aussi de la visite du pape à Ars sur Formans et du bicentenaire de la naissance du saint. Peut-être pas uniquement. Peut-être cela veut-il dire aussi qu’on a toujours besoin de ceux qui regardent la vérité en face et n’ont pas peur de la dire quoiqu’il leur en coûte à leur santé ou à leur hiérarchie.
Le curé d’Ars n’a pas de rue à Lissieu. Quelques églises lui sont consacrées de par le monde. C’est au Québec qu’il a servi à nommer des villages qui ont connu une bien triste fin : Saint-Jean Vianney près de Saguenay est village disparu après un gigantesque glissement de terrain en 1971 et Frontenac placé sous sa protection est tout proche de Lac Mégantic victime de la plus grande catastrophe ferroviaire de l’histoire du Canada en 2013.
» Peut-être cela veut-il dire aussi qu’on a toujours besoin de ceux qui regardent la vérité en face et n’ont pas peur de la dire quoiqu’il leur en coûte à leur santé ou à leur hiérarchie. »
Merci Danièle pour cette pensive excursion sous le soleil de Satan. Je me souviens d’une angoisse térébrante éprouvée lorsque nos parents nous ont plantés sans explications dans la chambre du curé d’Ars,en précisant toutefois en nous laissant ( pas assez de place dans la chambre) que c’était bien le lit qui avait brûlé sous la signature de Satan. Je crois avoir passablement cauchemardé la nuit suivante. Ma crédulité s’est amenuisée depuis.
Je te comprends, cette momie, cette vénération macabre ont qqch de macabre et je n’ai aucune envie de visiter la maison du curé à Dardilly ni la basilique.
Merci, j’en sais plus grâce à vous sur le curé d’Ars que je ne connaissais que de nom
Je n’en connaissais pas grand chose moi non plus avant de faire des recherches. Et il est vraiment un lointain cousin de mes anciens voisins.