Cette année-là, je n’étais qu’une passante sur les lieux d’autrefois. Celle qui y a vécu, longtemps avant, voyait les jours s’accrocher aux jours suivants et à ceux d’après sans savoir encore qu’elle allait partir. Les rues, les arbres, les maisons, le manoir à l’entrée du chemin vert nuançaient leur sens selon ses angoisses et le rythme lent des saisons. Leurs contours n’étaient jamais les mêmes, pouvaient même parfois être invisibles ou dérisoires. Souvent ils avaient la couleur de l’habitude et du temps immobile. N’étaient avenants que sous le couvert du mensonge. Les péniches sur les eaux de la rivière domptée par des écluses, à l’ombre des grands immeubles de la cité, servaient de prétexte à des voyages imprévisibles au gré des jours, le campement de gitans derrière les murs de l’école servait d’envol vers une autre façon de vivre, l’hôtel silencieux aux lourds rideaux de velours qui en masquaient l’intérieur faisait l’apologie du voyage et des vies en transit et le petit chemin entre jardins potagers et haies sans aubépines était mon côté de chez Swann. Le pèlerinage de cette année-là dans ces lieux vécus était comme une promenade dans un cimetière aux allées infinies bordées de pierres. Il ne reste que les pierres, les âmes ont depuis longtemps abandonné ces lieux de douleur et de peine. Éparpillées par le vent. Cette année-là, comme en tant d’autres années, on installait les stands de la ducasse. Baraques à frites, baraques à tir, petits canards jaunes dansant sur un fil de fer, les étalages de souvenirs en plastique, guirlandes de ballons colorés. Les échafaudages autour de la collégiale allaient devenir la scène où se dérouleraient les spectacles, plus haut, vers le parc de la ville, il y aurait les principales attractions et les manèges, toboggans géants, la roue des grandes frayeurs. Dans un jour ou deux, les rues se peupleraient de monde, les têtes se presseraient autour des stands ouverts, les cous s’allongeraient pour mieux étancher leur curiosité de nouveautés. Et, pour la première fois, ce sera vraiment la fête.
Un pèlerinage un peu mélancolique, brusquement rattrapé par la fête foraine.
Quelle belle histoire, Helena.
Merci !
Merci, Fil ! Je grignote sur quelque chose qui n’a pas encore le visage des mots.
J’aime beaucoup et après la lecture je pars avec le chemin vert et les petits canards jaunes. Merci Helena.
Merci, Romain !
J’aime beaucoup ce pèlerinage, vers l’avenir.
Oui, c’est vrai ! C’est un pélerinage sans le poids du passé. Merci, Laurent !
comme une nostalgie au gré de tes phrases, belles et amples, on ne sait pas où tu nous emmènes… et on te suit jusqu’aux nouveaux stands à explorer de la fête foraine
très en demi teintes et très beau
Territoire que j’explore encore à tâtons, celui de l’enfance et de l’adolescence. Merci, Françoise, de ta lecture attentive et juste !