Pas besoin d’aller loin pour partir en pèlerinage, un pèlerinage sur des lieux qui pour la plupart n’existent plus tels qu’ils étaient à l’époque, de qui est-il question ici, à qui vient-on rendre hommage, dans le quartier du Palais royal, on descend à la station Parc, on longe la rue Royale et pratiquement au bout, à droite la rue Baron Horta, avec sur une petite place la statue du général Belliard, ambassadeur de France en Belgique lors de la révolution de 1830, un escalier double descend vers la suite de la rue, le Palais des Beaux-Arts qu’on appelle désormais « Bozar », sur la gauche, constitue un énorme bloc, on découvrira leurs noms plus loin, seuls les initiés savent où ils se trouvent. On peut choisir ce lieu comme point de départ, se dire que c’est par ici que Charlotte et Emily Brontë, accompagnées de leur père le Révérend Patrick Brontë, sont arrivées à Bruxelles le 15 février 1842 pour apprendre le français en vue de fonder une école à Haworth, leur village du Yorkshire. Le Révérend Jenkins, chapelain à la Chapelle Royale, lieu de culte protestant, les a conduits au bas de ce qui en ce temps-là n’était qu’un seul escalier composé de quatre volées, ils traversent la rue d’Isabelle pour se rendre juste en face, au Pensionnat de demoiselles, pour un séjour qui durera deux ans pour Charlotte, entrecoupé d’un retour à Haworth lors du décès de leur tante Branwell, et de neuf mois pour Emily. Aujourd’hui se trouver en haut du double escalier, se dire que, mise à part la Chapelle Royale, plus rien de tout cela n’existe ; la rue d’Isabelle, créée au début du XVIIe siècle par l’archiduchesse Isabella pour permettre à sa famille et elle-même de se rendre directement du palais à la collégiale des Saints Michel et Gudule, a été littéralement enterrée, comme le quartier alentour, au profit de plans de développement de la ville, les strates urbaines sont là sous les pieds, presque tangibles, d’ailleurs on peut se promener sur un tronçon de cette rue déjà enterré du temps des sœurs Brontë et rendu accessible au public par le biais d’un musée historique. Lorsque qu’on regarde le plan de la rue qui prolonge le double escalier, avec par dessus un plan d’époque en transparence, on constate que les dernières marches surplombent la rue d’Isabelle et que le pensionnat se trouvait sous l’actuelle rue Baron Horta qui prolonge l’escalier : Charlotte et Emily Brontë ont vécu là, dessous. Au coin du Palais des Beaux-Arts, à gauche, sur le mur, placée un peu trop haut pour qu’on puisse la voir spontanément, une plaque commémorative placée en 1979 par la Brontë Society indique en anglais que le Pensionnat Héger où ont étudié Charlotte et Emily Brontë se situait à proximité. Prendre ensuite à gauche et remonter la rue Ravenstein jusqu’au niveau de l’hôtel Clèves-Ravenstein, édifice dont une partie date du XVe siècle, les marches qui le longent et descendent d’un niveau rejoignent la rue Terarken qui vient buter contre le soubassement d’une des façades du Palais des Beaux-Arts. Avant la construction de celui-ci, cette rue se prolongeait jusqu’à rejoindre la rue d’Isabelle. Il est fort probable qu’Emily et Charlotte ont foulé ces mêmes pavés il y a cent quatre-vingts ans ! Sur ce bout de façade, une autre plaque commémorative circulaire entourée d’un liseré blanc et couverte d’inscriptions blanches sur fond bleu, pareille aux plaques commémoratives apposées sur les maisons d’écrivains en Grande-Bretagne : cette plaque d’hommage personnel apposée clandestinement par une membre de la Brontë Society précise entre autres que Charlotte et Emily seraient passées par cette rue pour se rendre au Pensionnat Héger situé rue d’Isabelle : elle n’a jamais été retirée par les autorités de la ville et figure même dans un livre consacré aux écrivains étrangers qui ont résidé à Bruxelles. Et c’est tout, rien d’autre qui rende hommage aux deux plus grandes écrivaines de la littérature britannique du XIXe siècle, rien non plus qui témoigne de l’influence déterminante du séjour à Bruxelles de Charlotte sur une grand partie de son œuvre, à savoir deux de ses quatre romans : Villette et Le Professeur. Il est dit parfois que Bruxelles n’accorde que très peu d’importance à la littérature et à la présence d’illustres écrivains étrangers dans ses murs, notamment au XIXe siècle. Devrait-on voir dans cette apparente indifférence l’expression d’une involontaire amertume de la part d’une ville qui n’a peut-être pas toujours été traitée à sa juste mesure par ceux qu’elle a accueillis ?