La maison Gautret, c’est plus ce que c’était. C’est quoi aujourd’hui ? rien… une cour de cailloux blancs, trois murs, six fenêtres pour deux portes dont une condamnée, des massifs au pied des murs, un puits au milieu de la cour qui sert plus, un portail en fer forgé, un toit terrasse à balustres en pierre et j’sais combien de corbeaux en soutien qui font le tour du château de Sauveterre. Sauf que c’est pas le château la maison Gautret. C’est juste une partie. Un quart, un cinquième. Parce que le château… y a du monde dedans. Y a le sous-préfet, ou la sous-préfète si c’est encore elle, pour un bon quart. Y a le maire, l’éternel, et c’est comme si c’était le comte de Claudieuse de La Corde au cou cette fois, pour l’autre moitié, salle des mariages comprises. Juste en face des deux autres. Et puis à l’extérieur de l’enceinte, y a aussi le petit théâtre et la police municipale de part et d’autre de la tour nord. Ça fait plus d’un tout ça, je sais… Mais c’était pourtant ça à l’origine, la maison Gautret. Avant ça se confondait avec tout le château. Dès 1818. Même si c’est pas encore vraiment la maison Gautret. Non, pour ça il faut attendre Louis François Jules Gautret, né en 1826 d’Étienne Jacques Gautret et Marie Françoise Joséphine de Malet Roquefort de la Madeleine. Je jure qu’elle s’appelle comme ça. En tout cas, sans le petit Jules, qui deviendra un grand homme d’affaires, y a pas de maison Gautret, parce qu’y aurait pas de négoce de spiritueux Gautret & Fils en 1847, et la marque Jules Gautret aujourd’hui, célèbre Maison de cognac et de pineau. Enfin surtout à Sauveterre, c’est pas non plus les Maisons de cougnat. Et puis c’est plutôt une sous-marque parce que ça appartient au groupe coopératif Océalia, comme la Maison Ansac qui fait aussi dans le cougnat, Barnier Olives, Menguy’s les cacahuètes et les pistaches pour l’apéro, les gammes de popcorn Sphère Production, les Jardineries Mon Plaisir, Martin & Fils Bois Énergie, Humal le transformateur de céréales, Durepaire et Alicoop pour l’alimentation animale, Logicea à la logistique, le réseau de soutien à l’élevage Soléo, surtout pour les chèvres, et Alternagro, un autre groupe coopératif. Ça finit par se mordre la queue tout ça. Surtout si tu comptes aussi les jus de raisin, les vins et d’autres cougnats. Thalassa, Père Fouras, A.E. Dor, Fontgalant, H2B, Respectu Terrae, Santonia. Et les déclinaisons Jules Gautret, la tout court, la Depuis 1847 pour le cougnat tradition, les Exclusifs pour la création de cocktails. Et faudrait pas oublier les banques derrière, mais on s’en fiche. Bref ! la maison Gautret, c’était le château, transformé en partie en chai. Et un peu après, c’est plus le château, largement réquisitionné pour l’Administration. C’est juste une maison derrière le château. Qu’il a fini par vendre le Jules. Lui, avec ses bonnes affaires, il s’est construit un hôtel à la sortie de Sauveterre, en direction de Barbeleuil. À cinq niveaux, carrément. Un hôtel particulier comme il y en a beaucoup dans les grandes villes. Sauf qu’à Sauveterre, c’est le seul. Ça dénote. Heureusement, il se trouve pas dans le centre, devant le château. Il aurait eu l’air d’un donjon décentré, et massif, et pataud, tellement la bâtisse est cubique. On a connu plus fin comme maison bourgeoise. à croire qu’il avait intégré les chais dans l’architecture. La maison mère c’était mieux. Y avait plus de cachet. Rien d’exceptionnel, mais avec le châtelet en guise d’entrée, les deux tours aux poivrières d’ardoise, son pont-levis… C’est quand même pas si rien. Et Gaboriau il l’aura sûrement senti quand il a racheté la maison. D’ailleurs, c’est sûrement pas la maison Gautret qui l’intéressait, plutôt le château. C’est de s’dire qu’il vit là, dans un coin du château de Sauveterre, sous un toit et entre des murs vieux de plusieurs siècles. C’est de s’fourrer dans une niche d’un autre temps qu’il voulait sûrement. Avec le jeune roi Louis XIV, Mazarin et la Reine mère, séjournant là en 1659 ? Ou Guillaume de la Rochandry, le premier seigneur connu du château fin XIe ? Du temps du Cartulaire de l’abbaye Saint-Etienne de Baigne ? Qu’est-ce qu’il est venu chercher là ? Un signe extérieur de richesse ? une autre imagerie de province ? un dernier lieu d’écriture ? Pas de chance, il est mort avant à la capitale. Et il parait qu’au moment de sa mort, dans la cheminée, « les flammes crépitent joyeusement ». Non mais sérieux ? Le biographe de Gaboriau, il écrit ça ? Et t’es censé comprendre quoi ? que c’est la dernière chose qu’il ait vue dans son dernier souffle ? et que ça lui réchauffait le cœur ? que c’est ce que rapporte dans une lettre la femme de Gaboriau ou un proche parent ? et que ça lui faisait plaisir de le voir expirer ? que le biographe affabule et se fait hagiographe malgré lui ? qu’il prend plaisir à associer la mort aux flammes ? que tout ce qu’il souhaite à l’écrivain, comme en diablographe, c’est l’Enfer ? Franchement, tu vois où ça mène cette image, cet adverbe ? Moi si j’faisais métier d’écrire j’effacerais ça. Sauf si c’est un proche qui l’a écrit, mais alors j’ferais part de mes doutes. Mais bon, moi, l’écriture. Et si ça se trouve c’est sa seule faute de goût, au biographe. Après j’en sais rien, j’ai pas tout lu. Moi, ce que j’voulais à la base, c’est juste savoir où elle était la maison de Gaboriau, à Sauveterre. J’ai cherché un peu sur la Toile, et c’est dans le blog de Nicole Bertin, une journaliste à la retraite de la Haute-Saintonge, que j’ai trouvé deux références biographiques sur Gaboriau. Et les deux livres se trouvent à la Médiathèque. Cote 840.92 GAB, j’ai retenu. J’y suis allé après le Sauvetière. Les livres sont à l’étage, fonds local et non littérature où je me suis d’abord cassé les dents. J’ai demandé. Je me suis allongé dans un fauteuil bleu ciel assez confortable, en face de la bibliothèque, et j’ai feuilleté une première biographie en consultant la table des matières à la recherche des parties consacrées à la Saintonge, à Jonzac. Mais y a pas d’index pour les lieux dans le livre. Dans une vie, en général, on habite ici, on déménage là-bas et puis ailleurs, on s’installe finalement ici, et puis on voyage, on voyage, là, là et là, et plus loin. Pas d’index pour les lieux, c’est un peu con non ? J’ai eu plus de chance avec l’autre biographie. Enfin, une étude littéraire traversées de recherches biographiques. Le genre de livre vraiment génial où totalement nul, parce qu’on nous a dit et répété que le style d’une écriture, ça s’replie pas comme ça simplement sur le fil de la vie. Même si on sait bien, quand même, que ça se recoupe ici ou là quand il se passe un truc, un événement. On sent bien, parfois, qu’écrire, c’est comme une « vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie ». C’est pas de moi, c’est de Baudelaire ça. Bref ! j’ai feuilleté le livre biolittéraire, j’ai regardé les images. Et dans la planche IV, j’ai retenu, se trouve une photo en noir et blanc, datée de 1980, et c’est marqué : « Maison Gautret, rue du Château / Demeure de M. Gaboriau, de sa fille Amélie, puis de son gendre G. Coindreau ». Rue du château, je connaissais pas précisément, mais enfin je me doutais bien où elle se situait. Et j’ai surtout reconnu le grand portail et l’angle de la façade. Quand tu viens de passer la poterne du châtelet, pour te rendre à la mairie ou la sous-préfecture, tes yeux tombent forcément dessus. À partir de là, facile. J’ai rangé le livre et j’suis monté au château, maison Gautret-Gaboriau. J’ai pris quelques photos. C’est drôle, sur la photo dans le livre il y a deux types dans la rue, de dos, qui passent. Et moi, sur une des miennes, il y a quelqu’un qui sort de la maison et descend vers le pont-levis. Un vieil homme, d’un certain embonpoint. J’ai pas eu la présence d’esprit d’aller le questionner pour savoir s’il connaissait Gaboriau. Si ça se trouve il était de la famille ? peut-être qu’il lui ressemblait ? Et imagine, s’il était pas mort si jeune, à cinquante ans, c’était peut-être le portrait craché que j’aurais vu, bien plus vieux, de l’écrivain ? Qu’est-ce qu’il aurait écrit d’autre avec un peu plus de temps ? Il aurait peut-être changé de genre, de style ? D’écriture ? Et ça s’change ça, l’écriture ?