Pourquoi ? Pourquoi remuer ça encore ? Pourquoi ne pas tourner la page comme les autres ? Ils ont dit on oubliera pas, impossible, jamais, mais continuer à vivre, à survivre. Pour toi, non. Tu sais exactement où. Ils t’ont indiqué, montré. Au début, avec un bouquet ou une fleur de ses préférées et puis, ces regards sur toi, leurs regards d’eux dégoulinants sur toi. Alors non. Te tenir là, les mains vides, au strict milieu avec, tout autour, la vie de ta ville. Alors, saisir avec tes mains vides le parapet et serrer, serrer l’acier froid, sentir les rivets arrondis, sentir le mat de la peinture. Combien de ces couches d’antirouille grise depuis ? Toujours faire en sorte d’être là à l’heure où. Toujours la nuit quand tu saisis le parapet et que tu fixes les eaux noires qui coulent en dessous. Elles filent, vaguelettes, petits tourbillons. Elles diffractent les reflets des lumières de ta ville. Tu voudrais les voir furieuses, tumultueuses, bouillonnantes, écumantes. Mais non, elles coulent vers l’aval, toujours elles coulent placides, presque molles, implacables les eaux noires. Jamais possible non plus de voir sous leur surface, reflet de nuit, ce qu’elles charrient. Quand tu as demandé, silences gênés et regards inquiets vers toi. On sait pas trop, ils ont dit. Glauque. Tu n’as pas insisté. Tu t’es renseigné plus tard. Boue, déchets, carcasses, gros poissons équarrisseurs au sale goût de vase. Leurs yeux globuleux, froids aux poissons, ils ont vu, c’est sûr. Tu te tiens-là, mains agrippées au parapet, regard vrillé aux eaux noires. Seul.