Un cimetière de quartier, on les visitait souvent, les morts, avant, ils étaient parmi nous dans les cimetières de quartier, s’y rendre certains dimanches après-midi, une ancienne voie de chemin de fer qui longeait l’arrière du cimetière, c’était comme une promenade. Des centaines de tombes, des centaines de noms, ils sont nombreux les morts, des noms qui n’ont de signification que pour quelques personnes et parfois pour plus personne et quand la durée d’une concession est expirée, on enlève la pierre tombale et on fait place nette. Mes grands-parents : vous concernant il n’y a que votre nom, une année de naissance et une année de décès, rien de plus, laconique, une rose en faïence et des fleurs en tissu apportées deux fois par an puis plus qu’une seule fois. Vous êtes partis à vingt ans d’intervalle, respectivement il y a cinquante-quatre et trente-quatre ans. Toujours je reviens vous voir une fois l’an par tradition, car ce n’est pas là que vous êtes, on est bien d’accord. A côté, la tombe d’une femme qui portait le même nom que la boulangère chez qui nous allions acheter le pain, à chaque visite je regardais votre photo en noir et blanc, très contrastée, chevelure noire ou châtain foncé, bien coiffée, comme à l’époque, pull-over sombre, toujours j’essayais de distinguer cet air de famille entre vous et la boulangère, avec le recul, je me dis qu’il y en avait un très évident avec sa fille, votre nièce peut-être, je ne connaissais pas le lien qui vous unissait (peut-être me l’a-t-on dit mais je ne m’en souviens pas). En face, deux jeunes femmes mortes à vingt-trois ou vingt-quatre ans, votre tombe couverte d’une montagne de fleurs, sans doute à la mesure de la tristesse de vos parents mais qu’on ne peut comprendre quand on est enfant, c’est maintenant qu’on le comprend, vous deviez étouffer sous les fleurs sans cesse renouvelées, toujours elles m’impressionnaient, c’était la seule tombe à la ronde fleurie de cette manière. Et puis il y a tous les autres morts, vous autres, que je ne connais pas, dont les noms en effet ne me disent rien et puis vous aussi dont la tombe le 1er novembre est décorée d’un petit drapeau belge qui témoigne de votre héroïsme pendant les deux guerres mondiales. C’est un cimetière de quartier, mais il y en a plein d’autres, avec encore d’innombrables tombes, d’innombrables noms. A vous, les morts, connus et inconnus : sachez que vous n’êtes pas oubliés. Vous faites partie de nos vies, vous faites partie de la Vie.