Pourquoi tu viens en pleine nuit ? Tu as honte ? Tu as peur d’être identifié ? Tu crains de croiser quelqu’un ? Un fantôme ? Tu penses peut-être qu’on dort paisible comme nos tombes ? Tu crois que la nuit on déserte les cimetières où vous nous parquez pour venir vous hanter et faire des fêtes diaboliques dans vos cauchemars de vivants ? Tu crois qu’on entend rien, nous les morts ? Tu sais pas qu’on vous voit et qu’on vous reconnaît aussi ? Déjà entendu parler des ondes non ? Les ondes de vos pas à vous les vivants, elles se propagent dans le sol quand vous passez au-dessus de nous, ça nous réveille, ça résonne dans nos os, ça fait image jusque dans nos crânes, tu comprends ? Et puis un jour, on vous entend plus, tu sais pourquoi ? Parce qu’un jour vous nous rejoignez, nous les allongés, dans nos boîtes à os, tu saisis ? Tu n’as pas peur quand même de venir ici après tout ça ? Tu viens payer ta dette c’est ça ? Tu culpabilises de plus trop passer souvent ? Tu penses qu’on s’en aperçoit pas qu’elles s’espacent de plus en plus tes visites ? C’est quoi ton prétexte, ton excuse pour cette fois ? Tu vas encore inventer quoi ? La vie moderne ? Le boulot ? Mais tu nous prends pour qui ? Tu aurais peut-être voulu que ses cendres soient dispersées au vent ? Ça t’aurait arrangé pas vrai ? Tu vas sans doute dire que c’est pas parce que tu viens pas que tu l’oublies ? Tu sais combien disent ça ? Tu as amené des fleurs ? Ses préférées ? Tu t’en souviens encore ? Tu te trouves peut-être admirable ? Tu te sens pas plutôt minable ici, avec ton bouquet ridicule, en pleine nuit ? Elles te tournent pas trop la tête nos questions ? On te triture pas trop les remords et les regrets à te susurrer tout ça ? Tu veux l’entendre ? Mais enfin, t’as pas réalisé que nous, l’amas des corps des morts, on murmure d’une seule voix ? La solidarité des morts, ça te parle ? Tu les trouves durs ces mots pour toi de nous les morts ? Méchants, injustes, ingrats nos mots ? Tu veux fuir ? Tu veux les fuir nos mots de morts, nos mots à nous pour toi ? Mais tu comprends pas ? Tu comprends pas que plus jamais ils ne te lâcheront nos mots, nos mots à nous les morts ?
Merci Jérôme pour ce texte inquiétant !!