Une allée de pavés. Le trottoir, et à la place d’immeubles des rectangles de granit. Des tombes. Ne t’en va pas si vite. Reste encore un peu. Promène-toi dans nos allées désertes. Dans un cimetière, souvent, la plus vieille sépulture attire. Celle qui par son apparence permettra de voir autre chose que la mort. Pierre mousseuse, écriture à déchiffrer. Parfois la dalle s’effondre sur elle-même comme si la pierre voulait s’enterrer, suivre les corps qu’elle enferme, se retourner vers le monde du dedans de l’autre côté des pas du visiteur. Que le mort regarde ainsi sa pierre — quels nom et prénom ai-je portés, à quelles dates ai-je été vivant. Nous oublions tout cela. Ne pars pas si vite. Reste encore un peu. Nous ne t’entrainerons pas avec nous. Nous n’essaierons pas de te rejoindre pour recommencer. Ici, repose Odette, mon amour. À ma grand-mère, à notre chère cousine. J’avais dit pas de fleur. La tombe est fleurie. Il y’a même un emplacement à l’avant du rectangle de pierre pour qu’un arbrisseau y grandisse. Il donnera de belles fleurs mauves chaque printemps. À quelques pas des arrosoirs. Une poubelle où s’entassent les fleurs fanées. Dans les parcs des vivants, on voit rarement de fleurs fanées, ici chez les morts elles s’entassent. Viens. Viens. Solstene, mort loin de chez lui, à dix-huit ans. Il est né à la montagne, il a toujours vécu au milieu de ses montagnes. Je suis descendu de la montagne pour être tué dans l’endroit le plus plat que je n’eusse jamais vu. Un lieu si plat que je pensais qu’il était impossible d’y tomber. Surface de pierre, chemins étroits : placer un pied devant l’autre, marcher sur un fil. Mille huit cent trente-deux, mille huit cent trente-quatre, mille neuf cent deux, mille huit quatre vingt-dix-huit, mille neuf cent vingt et un, deux mille quatre, granit rose, photo en médaillon et je repense à tu aurais pu choisir une autre photo. J’y penserais toujours maintenant, il n’y aura pas de photo. Des fleurs ? Pourquoi pas. Et que tout le monde les ramène chez soi ensuite. Mille neuf cent soixante-dix, tiret, et rien après.
Parler des morts convoque sa propre mort. Comment l’envisager ?
Merci Romain pour ton beau texte !
Quel beau texte, Romain. Merci !