En 1791, des corps naturellement momifiés, dans un état de conservation remarquable, sont déterrés près de la basilique Saint Michel et rassemblés dans la crypte sous la tour du clocher. Jusqu’en 1979, c’est une des plus grandes attractions touristiques de Bordeaux.
Personnages :
La famille empoisonnée (le père, la mère, les quatre enfants)
La femme africaine et son enfant
Le portefaix
L’enterré vivant
L’homme à la perruque
Le général
Plus d’une soixantaine de corps sont disposés debout, attachés à un poteau pour les faire tenir bien droit, devant les murs de la salle basse du caveau.
Le portefaix : Les visiteurs se succèdent dans la crypte et c’est moi qui crois vivre un cauchemar éveillé. Les vivants hantent le lieu tout le jour. Nous subissons les lueurs trop vives de la lumière artificielle et les cris de ceux qui s’exclament devant l’inexplicable phénomène : la rencontre des morts.
L’homme à la perruque : Je ne veux pas retourner poussière. Je n’ai jamais été une poussière, je ne retournerai pas poussière. Je veux garder ma perruque. Je veux être une femme, même morte. Ils disent que c’est une fausse perruque. Qu’est-ce que ça veut dire une fausse perruque ? Je suis une femme. Et ma perruque est vraie. Leurs discours sont faux. Ils ne savent rien de la mort. Ils peuvent croire à l’éternité de l’âme. Mais ils se trouvent face au plus grand mystère qui soit : l’éternité des corps.
Le portefaix : Ils prétendent que ma peau est plus dure qu’un cuir de bœuf. Le guide tape dessus plusieurs fois par jour avec son bâton ; les vibrations réveillent mes angoisses passées. Le séjour de la mort est pire que la mort, pire que le mal qui m’a accablé dans les derniers jours de ma vie.
La femme africaine : Le mal qui t’a accablé ? On raconte pourtant que tu es mort sous le poids d’une charge trop lourde, que, par orgueil, tu as lancé le défi qui t’a coûté la vie.
Le portefaix : Ils racontent des fables pour attirer les touristes et finissent par croire à leurs propres légendes. Les douleurs à l’estomac ne me quittaient plus et je me suis recroquevillé sur moi-même. On m’a promis de reposer en paix. Et je suis aujourd’hui une bête de foire à qui on arrache des lambeaux de peau pour se préserver du mauvais œil.
Le général : On prétend que je suis mort en duel. Je n’ai jamais été dans l’armée. J’ai horreur des combats. Je ne me suis jamais battu. Ma femme, folle de douleur, a tué le cheval qui m’a piétiné après la chute. La blessure que je porte sur le flanc ne se refermera jamais car le guide, chaque jour, afin d’exhiber les faiblesses de la chair, passe à l’intérieur son bâton, comme si le sabot du cheval ne finissait jamais de me labourer.
L’enfant empoisonné : Je n’aime pas les champignons, mes parents n’ont jamais réussi à me faire manger des champignons. Même mort, les champignons ne m’atteignent pas, la peau reste intacte. On m’attrape par le cartilage de l’oreille comme mon père l’a toujours fait quand j’étais vivant. La mort ne change rien à mon existence qui reste un enfer.
La mère empoisonnée : J’ai rendu l’âme, je veux rendre le corps. Je ne veux plus qu’on me touche. Je ne veux plus qu’on me regarde. Je ne veux plus sentir sur moi ces mains qui me terrorisent.
le père empoisonné : Cette histoire de champignons empoisonnés aura raison de ma patience. J’aurai subi deux fois la peste. Mais celle qui ne finit jamais est la plus terrible de toutes.
L’enterré vivant : L’homme est revenu, hier. Allan Kardec. Je n’ai pas voulu lui répondre, je n’aime pas la façon dont il me regarde. Il veut entrer en contact avec mon âme, je n’ai plus d’âme, j’ai un corps. Un corps éternel. Il prétend que les contractures de mes membres sont un signe du diable. Je n’ai jamais été violent et la douleur figée aujourd’hui sur mon visage c’est à eux que je la dois, aux vivants qui offensent ma dépouillent. Je voudrais crier, aucun son ne sort de ma bouche. Le plus terrible des hurlements exulte dans le silence.
Le portefaix : Je ne suis pas un animal de foire.
Le général : Je ne suis pas un cauchemar.
La femme africaine : Je ne suis pas une momie, laissez-moi bercer mon enfant en paix.
L’enfant empoisonné : Je ne suis pas un fantôme.
L’enterré vivant : Je ne suis pas une vision d’horreur.
La mère empoisonnée : Nous avons rendu l’âme, préservez nos corps.
Le père empoisonné : Ceux qui croient en nous laisseront perdurer les corps. Je crois à la chair éternelle.
La mère empoisonnée : À la matière immarcescible.
La femme africaine : À la terre argileuse, humus, qui m’a faite femme.
Le père empoisonné : Au sédiment calcaire qui fut mon deuxième berceau.
Le général : Au limon sablonneux, mon dernier refuge.
Le portefaix : Préservez la mémoire. Rendez à la terre ce qui lui appartient.
L’homme à la perruque : Épargnez les remords.
L’enfant empoisonné : Libérez-nous des vivants.
Waaawwww! Impressionnant! Une vraie pièce de théâtre morbide. Merci pour cette belle créativité. Vas-y poursuis!
C’est vrai que les légendes inventées au sujet de ces momies donnent déjà de la matière ! Il faudrait tirer le fil pour en faire une petite pièce en trois actes.
texte qui fait chavirer le coeur. Merci