tombe à Lissieu
Elle m’a demandé un jour de mettre de l’ordre dans une documentation brouillonne concernant les châtelains de Lissieu pour préparer une cérémonie qui se déroulerait pendant le printemps des cimetières. Il ne s’agissait pas d’archives, mais de travaux de seconde main non signés, redondants ou contradictoires. Je ne la connaissais pas, j’aime l’histoire et les histoires et j’ai fait le travail en m’efforçant de retourner aux archives ; pour des raisons que j’ai oubliées, la cérémonie n’a jamais eu lieu. Les Châtelains de Lissieu qu’il s’agissait d’honorer dorment sous trois pierres tombales effacées près de l’église, la plus jeune morte depuis 1861. Mon interlocutrice était férue en morts de Lissieu, mais elle était sélective, ses préférés étaient les châtelains du 19e siècle (parce qu’ils avaient été maires de la commune) puis ceux de la Seconde Guerre mondiale (les combattants du 25e régiment de tirailleurs sénégalais morts en 1940 et les fusillés de 1944). Oubliés ceux de 1814 et ceux de la Première Guerre mondiale ; il est vrai que pour 1814 on ne connaît ni les noms des Français ni ceux des Autrichiens, et qu’en revanche on célèbre chaque 11 novembre ceux des morts de la Première Guerre mondiale inscrits sur le monument aux morts. Après tout c’était son droit. Plus tard elle m’accusa de lui avoir volé sa documentation et ses morts et s’opposa aux efforts d’un pourtant ancien complice pour faire rénover une des tombes de châtelains, arguant que c’était toutes ou rien. Je lui ai rendu le seul document que j’avais conservé (le plus intéressant et le plus original : un mémoire de maîtrise d’histoire d’une lissiloise sur les résidents secondaires à Lissieu traitant des châtelains du 19e siècle.) Je le lui ai rendu dans un cimetière bien sûr au Tata sénégalais, nécropole nationale en l’honneur des combattants du 25e régiment de tirailleurs sénégalais qui se trouve sur la commune voisine de Lissieu. J’aurais dû le numériser et je ne l’ai pas fait. Ainsi se perd la mémoire par la faute de ceux qui croyaient la garder.
Elle m’avait donné le goût des morts. J’ai continué seule les recherches au monument aux morts et au nouveau cimetière où les tombes des grandes familles de Lissieu ressemblent à des mausolées. Combien de morts pour la France lissilois ? La liste du monument aux morts ne correspondait ni à celle du livre d’or des morts pour la France ni à celle du registre des décès de la commune, beaucoup n’étaient pas lissilois mais nés ailleurs et simples ouvriers temporaires dans les fermes de Lissieu, d’autres n’étaient pas morts au combat, mais des suites de blessures de guerre ou de maladie contractée au front ou non. Dix noms sur 22 seulement étaient communs à toutes les listes, ceux inscrits sur la première colonne du monument ! Quelles tractations avaient eu lieu pour arriver à 22, le plus fort taux de décès des communes avoisinantes, nul ne le saura jamais, il me faudrait écrire Le monument comme Claude Duneton dont je n’ai pas son talent et cela n’intéresse personne à part moi.
Les mausolées n’avaient pas encore livré leurs secrets. Ceux des châtelains du 20e siècle, les Chavanis (comptant un maire pourtant), Gayardon de Fenoyl, des Chaine relevant de la mémoire des familles et oubliés des honneurs de l’histoire. Parmi les autres, certains visiblement abandonnés n’avaient reçu aucun mort depuis plus de soixante-dix ans, d’autres ne l’étaient pas. ceux des Damour, des Briard-Bunand, des Cinquin-Damour, des Bouchet, des Vernay-Dufournel, des Viannay, des Pinet, des Magniny-Duchamp qui attendent patiemment leurs morts, ceux qui tiennent la terre de la commune, même s’ils sont sous terre.
Les morts comme les vivants ne pèsent pas le même poids et ne marquent pas les mémoires de la même façon. Qui était ce Jean Corbignot dont la halle sportive de Lissieu porte le nom ? Ancien maire de Lissieu de 1977 à 1988 qui a sans doute fait construire la salle inaugurée en 1983, qui a présidé aux négociations de la ZAC de Bois Dieu (c’est écrit dans un article du Progrès et 1977), lui aussi qui a créé la minuscule zone de commerces près de l’église. J’ai beau chercher, je n’en apprendrai pas plus. C’est pourtant l’unique personnalité ayant donné son nom à un établissement de la commune.
« Mon interlocutrice était férue en morts de Lissieu, mais elle était sélective, ses préférés étaient les châtelains du 19e siècle (parce qu’ils avaient été maires de la commune) puis ceux de la Seconde Guerre mondiale (les combattants du 25e régiment de tirailleurs sénégalais morts en 1940 et les fusillés de 1944). Oubliés ceux de 1814 et ceux de la Première Guerre mondiale ; il est vrai que pour 1814 on ne connaît ni les noms des Français ni ceux des Autrichiens, et qu’en revanche on célèbre chaque 11 novembre ceux des morts de la Première Guerre mondiale inscrits sur le monument aux morts. » On en apprend beaucoup, Danielle, lorsqu’on s’interroge sur les omissions de la mémoire écrite. Rien de nouveau sous le soleil. Cette fascination pour les riches et les châteaux est encore très prégnante. Qu’est-ce que le patrimoine et le matrimoine finalement ? On pourrait en écrire des purgatoires entiers d’épitaphes boycottées. Et vous avez l’art d’aller débusquer tout ces palimpsestes des Temps révolus. Merci !
merci fidèle lectrice.
captivantes ces recherches! merci Danièle pour votre attention et je salue votre persévérance
Merci Cécile. C’est effectivement passionnant ce genre de recherche.
« Elle m’avait donné le goût des morts. » tu nous ouvres un chemin vers eux. « ceux des Damour, des Briard-Bunand, des Cinquin-Damour, des Bouchet, des Vernay-Dufournel, des Viannay, des Pinet, des Magniny-Duchamp » ( j’ai connu des Damour )pas des Cinquin-Damour ( magie des noms. Merci Danièle
Damour est un nom assez commun autour de Lissieu. Il y a une magie dans certains noms. Merci Nathallie.