Si je veux raconter Lissieu, je sais qu’il faut aller jusqu’à l’os, oublier tout ce qui s’est accumulé autour des hameaux dispersés et retrouver le squelette. Bien que construisant continuellement, Lissieu a peu détruit et gardé son maillage de hameaux dont chacun raconte un bout de son histoire. Ils existaient déjà il y a un siècle et même deux siècles ces hameaux et leurs maisons anciennes : la roue, le mas, braille, les favières, la guerre, plambeau, montfort, montvallon, bois dieu, les calles, la clôtre, la buchette ; les gorges et la chicotière (le semanet) s’y étaient ajoutés au fil du temps. C’est pendant la pandémie qui frappa le monde en 2020 que La Buchette et Montvallon ont subi les assauts des promoteurs.
La Buchette était habitée depuis deux siècles par la même famille, qui s’enorgueillissait d’un lointain cousinage avec l’abbé Vianey, le saint curé d’Ars. Appentis et hangars, ateliers, édicules de toutes sortes avaient sans doute enfouis l’ordonnance originale de la ferme antique. La Buchette avait échappé à l’œil des agents du patrimoine et vivait des années de calme et d’inoccupation depuis la disparition du dernier descendant agriculteur. Sa fille unique s’était fait construire une maison moderne sur le terrain qui tournait désormais à la friche; elle continuait cependant à entretenir les murs et les toitures de ce qui avait été une ferme.Les années passèrent et la dame mourut. Une succession compliquée aurait pu différer l’intervention d’un promoteur, par malheur la morte n’avait qu’une fille vivant au loin. Les terrains patiemment rassemblés au fil du temps par échange ou achat furent divisés en cinq lots et les démolisseurs entrèrent en action pour faire de la place et créer du neuf. J’ai conservé en partage avec mon nouveau voisin le puits sec commun aux maisons de la Buchette. Il sera bientôt le seul vestige. Pas tout à fait heureusement, une partie des façades des vieilles granges ont été conservées.
Pour le bois de Montvallon, c’est la surprise qui a pris de cours tout le monde. Quelques machines entrées sur le terrain pour abattre des arbres morts et en moins d’une semaine tout était coupé. Plus rien qu’un tas de bois à la place des chênes centenaires. Disparu le poumon vert du village. Un malin avait retrouvé les héritiers dispersés et les avait décidés à vendre. Creusé un peu plus l’espace–centre autour du château détruit et du hameau de Montvallon. Si cela devient un grand parc public pourquoi pas ? Lissieu aurait son Centralpark.
Coupée en deux par une autoroute, proche d’un nœud autoroutier, ayant vu sa population multipliée par 7 en quelques décennies, et malgré ses trois zones d’activité, étrangement, Lissieu reste encore une agréable commune avec ses hameaux, des prés et des bois et ne connaît presque aucune ruine abandonnée. Le minuscule bourg au bord de la nationale pourvu d’une boulangerie, d’une boucherie, d’une épicerie, d’une fleuriste, d’un café et d’un tabac-presse et de rien d’autre ou presque n’a quasiment pas changé depuis la fin du 19e siècle. La municipalité rêve de densifier son centre-bourg pour animer la ville, mais ne fait rien d’autre que de laisser construire ailleurs de trop grosses bâtisses coincées sur de trop petits terrains bardés de murs trop hauts. Sans doute est-ce le génie du lieu qui résiste à la centralité et s’éparpille. J’aime bien les lieux qui font de la résistance aux projets urbanistiques, c’est peut-être là que réside leur charme.
La dernière phrase est magnifique.