1984, Fête de la musique à la Bastille, à l’angle du boulevard Richard Lenoir, on entend le chanteur , « ça s’appelle Paris, P.A.R.I.S., Paris mec, écoute, c’est la plus belle ville du monde, qu’est-ce que tu veux faire d’autre? Allez à la campagne pour torcher des porcs et te faire mettre par les coqs à six heures du mat’? » La guitare, sur deux accords, et le guitariste qui égrène P.A.R.I.S pendant que le chanteur déclame. Car le chanteur ne chante pas. Il déclame l’énigme du Sphinx, « tu entres dans les chiottes sur deux pattes, t’en ressors à quatre pattes avec une cravate serrée autour du bras et du sang qui coule lentement », toujours la guitare sur deux accords. « P A R I S, Paris », le guitariste en écho, P A R I S Paris. Le chanteur au guitariste, « hey Olive, Olive, comment t’épelles Paris? Merde M E R D E, Paris, ça s’écrit M E R D E, Hey Daniel Daniel comment t’épelles Paris? Paris, j’écris ça M E R D E, comme toi Olive, Comme les flics ! Alors marche dans les rues de Paris, respire le bon air. Tous les jours des gosses meurent d’en avoir respiré un peu trop. Regarde l’îlot Chalon. Hey Olive, t’as vu l’îlot Chalon ? Ouais. Qu’est-ce tu penses de l’îlot Chalon Olive? La Meeerde ! Paris, ça s’écrit M E R D E »
27 novembre 1997, il n’y a plus d’îlot Chalon, plus de dealers d’héro, plus de Chinois, plus de Sénégalais, plus de junkies, la fête de la musique est policée. Par arrêté municipal, la rue Roland Barthes est baptisée, alors que la rue Chalon est devenue souterraine. L’arrière de la Gare de Lyon a toujours ses clodos, ses pochtrons, mais au grand jour et sur une belle dalle ouverte. Et une rue Roland Barthes.
1847, l’îlot Chalon est construit à l’arrière de la toute nouvelle Gare de Lyon, avec des entrepôts, des ateliers, des logements pour les ouvriers de la gare, les cheminots, le petit peuple qui va faire naître le tissu des rails et qui va vivre là, sur les rues pavées sans plage dessous. Il en faudra des ouvriers, des serveuses, des putes, des journaliers de la misère. Les immeubles sont noircis de la fumée des machines. Ils s’abîment. Ils sont voués à disparaître, ils ne sont pas entretenus, les Chinois de 14-18 y restent un moment, petit peuple discret. PLM puis la SNCF laissent pourrir les bâtiments.
Paris, pour se loger, c’est la merde. Pour se piquer, il suffit d’aller à l’îlot Chalon. Il n’y a plus d’îlot Chalon, derrière la Gare de Lyon. Ne reste qu’un mythe, une bande son et la rue Roland Barthes au-dessus de la rue Chalon.
des transformations inéluctables
contente d’être passée par chez vous…
à vous lire encore
Aime beaucoup comment ça cause, comme ça chante… et les sauts dans le temps qui détruisent remplacent. Merci Philippe!
Ils ont rasé l’îlot Chalon à peu près au même moment qu’ils ont fabriqué le parc de Belleville et fini de réhabiliter le bas-Belleville.
À Belleville, on a échappé de justesse à une grande dalle.
Merci Philippe pour avoir rappelé un bout d’histoire de ce qu’on peut maintenant appeler le vieux Paris.