La croûte sous le sol avait tremblé. Et quelques lézardes étaient apparues sur les maisons. En haut de la colline, une petite barre d’immeuble éclipsait la forêt derrière, à perte de vue des pins. Une large fissure parcourait de haut en bas la structure massive comme disjointe en deux immeubles. Au quatrième étage, elle passait sur le côté gauche de la fenêtre de la cuisine. La brèche avait été comblée à la va-vite avec un papier mâché de journaux bavant une encre charbonneuse sur le mur. C’était à peu près aussi inefficace que laid. Le mistral soufflait entre les interstices nombreux. La cassure progressait. L’évier penchait un peu. La fenêtre résistait à l’ouverture, jusqu’aux poignées des portes qui demandaient plus d’effort. La fissure dans le mur laissait passer un souffle d’abattement ressenti jusque dans les muscles. Pendant le sommeil, il perlait des sueurs froides que les cauchemars redoublaient. Puis un matin ce fut le chauffe-eau, une fuite. Il se détraqua encore les jours suivants, requérant de changer pièce après pièce. Des semaines à se laver à l’eau froide. Les voisins d’en face, petit couple sympathique, dépannaient d’une douche par semaine. Puis à leur tour, ils se détraquèrent. Le mari disparut, laissant seuls sa femme, et un minuscule chien aboyant jour et nuit. Les nuisances sonores devinrent vite démentes. Hurlements, sonneries à la porte, poings dans les murs. Des jours à être exténués. Puis une nuit il y eut un grand calme. L’adrénaline parcourait encore les corps en éveil. Dehors en regardant par la fenêtre ouverte de la cuisine, toute la chaîne des monts dormait dans l’obscurité. Les yeux s’habituent dans la nuit à percevoir des lueurs, mais le grondement lointain était net. Les éclairs admonestaient les montagnes qui répondaient en grognements vibrants et sourds. Les secondes se propageaient lentement entre les éclairs et les retentissements tonnants. Les rideaux pendaient naturellement aux fenêtres. Rien n’enflait. Et pourtant il aurait fallu partir, prendre le large, larguer les amarres. Dans l’obscurité, les monts s’habillaient d’épais voiles opaques. L’appartement comme un château fort dominait d’autres immeubles, des constructions à perte de vue. Seules les montagnes tenaient tête. Soudain, les basses pressions s’affolèrent changeantes. La tempête dévala sans crier gare. Le souffle du mistral dévasta tout cette nuit maussade. Le piano fut emporté à grand bruit de cordes qui se déchiquettent, une main empoignant plusieurs touches blanches, une autre main agrippée à une chevelure, le tapis entraîné dehors, le cadre hurlant sa fonte se fracassant sur les plateaux en cuivre du quartier des Habous emportant la table en pierre de fossiles d’Erfoud, le couscoussier et tous les instruments de cuisine voltigeant par la fenêtre en un vacarme épouvantable, les bourrasques redoublant de forces ravissant encore les couvertures berbères en laine tissée à la main, le service à thé et la théière en cuivre de Marrakech, fracassant les deux grandes jarres à eau du rif et la lampe à huile de Tamegroute.
Très beau texte ! L’étrangeté de la première partie, la furie des objets dans la deuxième. Merci, Michaël !
Merci Helena pour ce retour qui me fait très plaisir!
Ce texte est fascinant, bravo !
Merci beaucoup Laure d’être passée me lire!
Michael comme tu écris bien l’orage, longtemps, surprenant et le Mistral tout ce qu’il emporte d’ une maison qu’on pensait vide, moche, désertée.
Merci Simone pour votre message!