Se rendre en voiture sur la bretelle d’autoroute qui passe non loin de l’aéroport. Choisir un jour de grand beau temps. Un jour bleu pur. La piste de décollage est à peine à quelques kilomètres de la deux fois deux voies. Le Boeing de soixante mètres d’envergure, élance sa carcasse de plus de trois cent tonne jusqu’à la vitesse de deux cent quatre vingt kilomètres heures. Puis s’envole avec légèreté. J’arrive dans le sens inverse, collé au bitume dans ma Peugeot à cent trente cinq kilomètres à l’heure. Je lève les yeux des bandes blanches qui défilent à toute vitesse. L’avion est dans l’angle supérieur droit de mon pare brise. Quasiment immobile. Je le saisis avec délicatesse entre mon index et mon pouce droit prenant garde de ne pas abîmer ses minuscules ailes. Puis je le dépose tout aussi délicatement sur le tableau de bord. Au travers de la vitre du cockpit je peux voir le pilote me remercier de l’avoir sauvé de la chute.
Choisir l’immeuble le plus haut de votre ville ( hauteur minimale souhaitée d’une vingtaine d’étages). Prendre l’ascenseur jusqu’au dernier étage ( en cas de panne il est préférable de passer directement au jeu suivant). Trouver la trappe qui permet d’accéder au toit. Je jette un œil autour de moi: personne pour donner l’alerte. J’ouvre doucement la trappe, monte sur le toit. Je reste bien au centre pour ne pas apercevoir le vide. Malgré ça mes genoux tremblent un peu. Je déplie mon corps qui s’est tassé par réflexe au plus près de la dalle sous mes pieds puis lentement je lève la main droite pour gratter le ventre du ciel. C’est doux et cotonneux. Voyant qu’il apprécie mes caresses je m’enhardie à lever ma deuxième main. Une bourrasque de vent ronronne de plaisir à mes oreilles.
Se rendre dans le quartier chinois. Se laisser d’abord aller à flâner au hasard des rues. Sur les grands boulevards, là où les grandes enseignes ont pignons sur rue. Puis se laisser emporter plus profondément loin des attrape touristes. Je choisis d’abord de suivre un groupe d’adolescents. Ils s’invectivent fort, chahutent, se bousculent, disparaissent sous un porche dont la clé de voûte représente un visage doré. Puis je décide de me laisser flotter dans le sillon de la jeune femme avec son enfant. Il est assis dans une poussette face à elle. Elle lui parle avec un ton doux dans une gamme de sonorités que je ne connais pas. Il me semble qu’elle lui chante par moment une berceuse. Les rues deviennent tortueuses, les rayons du soleil ont de plus en plus de difficultés à se faufiler entre les toits. Il fait frais. Dans les arrières cours, les cuillères de bois cognent contre les casseroles en fer blanc. Ça sent le bouquet fraîchement ciselé de coriandre, le curry et aussi une autre odeur qui m’est étrangère. J’ai depuis longtemps perdu de vue la jeune femme et l’enfant. Un lampion rougeoie au fond d’une impasse. Je pousse une vieille porte de bois vermoulue. Elle me saute alors au visage. La fumée. Et puis l’ivresse alanguie des fumeurs d’opium.
De nuit. Se placer dans un espace dégagé et un peu surélevé. L’objectif étant de pouvoir apercevoir, si ce n’est tout, au moins une grande partie du périphérique. S’imprégner des alentours. En contrebas, les voitures éclairent le bitume de leur fins pinceaux jaunes. En haut, le ciel. Lune pleine, nouvelle ou rousse. Ciel couvert, orageux ou limpide. Ne pas chercher les étoiles: cela fait des siècles qu’elles ont déserté les villes. Se mettre alors à tourner sur soi même. Mes bras sont grands ouverts et mes mains fouettent l’air. Je sens que je penche un peu sur mon axe, récupère l’équilibre en accélérant ma vitesse de rotation. J’ai perdu tout repère. Je stoppe, le souffle court. L’ivresse m’oblige à me tenir à mes genoux quelques secondes. Lorsque je relève la tête le spectacle est grandiose: les étoiles sont là, elles brillent et clignotent juste en dessous de moi sur l’orbite du périphérique.
Bonsoir Géraldine
J’ai bien aimé la légèreté avec laquelle on passe du réel ( même s’il est inhabituel) au fantastique. De la douceur et de la poésie. Merci
Quatre jeux où le réel le dispute à l’irréel.
Ton texte donne envie d’y jouer !
Merci pour ce beau texte !
C’est vraiment très beau. J’aime beaucoup cette légèreté poétique qui baigne dans une certaine évidence. Ça met plein de belles idées en tête. Merci Géraldine.
Merci à vous Claudine, Fil et Jean Luc d’avoir joué avec moi !