Il était là depuis deux jours. Sa tante était venue le chercher à la gare dans sa Panda cabossée et rayée. Elle avait grillé un feu rouge, lui avait demandé si le feu n’était pas rouge, il avait répondu que si, elle lui dit alors qu’il fallait qu’elle fasse attention, il ne dit rien. Arrivés à la villa, son oncle l’accueillit, souriant. Il posa le livre sur la table, se leva, vint l’embrasser et commenca à lui parler. Il lui demandait des nouvelles de lui, de ses parents, de ses études, des ses frères et soeur, lui dit qu’il était content de le voir, pendant que la tante préparait une limonade. Il resta ainsi un moment avec son oncle, assis face à face dans des fauteuils Bergère. De temps en temps, il se levait, parcourait la bibliothèque, tirait un livre au hasard. Son oncle se mettait à lui parler du livre qu’il venait de prendre, de la Révolution russe, de Victor Hugo dont il déclamait quelques vers, du Cantilène de sainte Eulalie, de Baudelaire, de Valéry, de Senghor, de Vercors. Un chat passa sans s’arrêter, suffisamment lentement et suffisamment près de l’oncle pour recevoir une caresse. C’est le chat d’Helena lui dit l’oncle, tu te souviens d’Helena? Il vient voir qui tu es.
Ce soir-là, ils mangèrent sur la terrasse. Les cigales s’étaient tues. Les grillons les avaient remplacées. Après le dîner, avec l’oncle, ils allèrent pisser contre le palmier. L’oncle lui expliqua qu’il était important de pisser contre les arbres, ça leur apportait des sels minéraux. En pissant, il regarda le ciel, la lune était pleine. Ils firent un tour dans le jardin. L’oncle lui parlait des plantes, de la tante qui devait peindre ou lire. Il revinrent sur la terrasse, l’oncle lui demanda s’il jouait au bridge. Il répondit que non. L’oncle lui dit qu’il devrait apprendre, qu’on rencontre des gens bien en jouant au bridge, que c’est comme ça qu’il avait rencontré le général. La tante sortit avec une cigarette, leur proposa un whisky. Après avoir bu leurs verres, il demanda à aller se coucher. Il monta au deuxième étage, reconnu l’odeur de la pièce, regarda par le fenestron la mer de plomb sauf le halo argent de la lune. Il lui sembla entendre des pleurs dans la chambre à côté. Il s’approcha de la cloison, y posa l’oreille.
Il sentit dans la nuque un léger courant d’air, pas plus puissant que ferait, sur le dos de votre main, une expiration nasale ordinaire, autant dire un souffle si discret qu’il ne chasserait pas une mouche et que vous ne sentiriez uniquement parce que vous voudriez en connaître la légèreté, son à peine perception. Il sentit donc, dans la nuque, un tel courant d’air. Il ne se retourna pas tout de suite. Il attendit. Inspira comme le font les animaux qui sentent un danger, ferma les yeux. Il posa les deux mains à plat sur la cloison, appuya son oreille un peu plus fort, retint sa respiration, puis tourna la tête.
mini fiction très réussie, une chose est sûre : on n’ira pas chez l’oncle, mais que devient le narrateur restera une question pour les jours sans lune…
Un récit fantastique qui commence l’air de rien.
Ça fait peur…
Merci Philippe !!
on ressent bien dans la nuque ce léger courant d’air
en fait ça démarre au moment où il entend des pleurs dans la chambre d’à côté… quelque chose qu’on a déjà tous éprouvé, entre rêve et réel dans une maison qui n’est pas la nôtre
oui, très réussi…