Dans l’appartement qui avait appartenu à ses parents et qui était devenu le sien, elle connaissait chaque recoin, avait apprivoisé le bruit des boiseries rabougrissant sous la chaleur de l’été, le sifflement du vent du nord s’infiltrant par les rainures des fenêtres ; même les pas des voisins du dessus se déplaçant d’une pièce à l’autre lui étaient devenus familiers, comme le ronronnement amical de la vie qui passe. Les murs étaient peuplés de souvenirs d’une existence tranquille, trop tôt éteinte, dont elle gardait un sentiment de douceur et de fragilité. Ils arrivèrent un matin pour occuper l’appartement d’à côté, les cris d’une dispute montèrent jusqu’à ses fenêtres, au rythme du hissage des meubles trop volumineux pour être casés dans les ascenseurs qui cependant travaillèrent sans relâche toute une journée, grinçant de peine en même temps que l’appartement se remplissait du vacarme des objets que l’on trainait, laissait tomber avec lourdeur sur sol, de coups de marteau et de querelles constantes. L’installation dans l’appartement dura plusieurs jours, parfois jusqu’à l’aube, puis le bruit des choses inertes cessant, resta celui des choses humaines. Il pouvait éclater à tout moment, la remplissait d’effroi, la réveillait en sursaut, ne lui donnait du repos qu’au petit matin, la laissait harassée de fatigue pendant des journées entières. Ses gestes devenaient nerveux et inquiets, toujours à l’affut du moment où les voix allaient jaillir, sourdes et coléreuses à travers les parois trop frêles. Aucun de ses voisins les plus proches ne sembla s’en inquiéter, faisant retomber sur ses épaules le poids de la responsabilité. Elles rencontra le couple hargneux un jour dans le couloir de leur étage. Prit l’ascenseur de gauche, le plus lent, leur laissa vacant celui de droite. Au passage des corps, les yeux de l’homme la transpercèrent d’une curiosité sale, puis, dans ses yeux, l’ébauche d’un sourire où elle discerna moquerie et dédain, la femme qui le suivait la regarda machinalement comme un objet que l’on jette aussitôt. Ils portaient chacun une valise, ce qui lui donna l’espoir de quelques jours de silence. Ce soir-là, elle se coucha tranquille, parcourut des yeux le livre sur la table de chevet, éteignit son téléphone et glissa dans une somnolence paisible qui bientôt devint sommeil profond. Elle fut réveillée par son propre cri de douleur et un sifflement lancinant qui menaçait de faire éclater ses tympans. D’instinct, elle se couvrit la tête avec les mains, se dirigea hagarde vers la salle de bains, mais la douleur disparut aussi rapidement qu’elle était survenue. Le cœur en sursaut, elle se rafraichit le visage, s’assit sur le rebord de la baignoire, en essayant de retrouver son calme. A ce moment, violentes, aigües, terriblement proches, les voix de la dispute éclatèrent avec une violence inouïe. Cette fois-ci, elle en distinguait nettement les paroles grossières, si proches, si proches qu’elles ne pouvaient venir que de son propre appartement, si proches, qu’elles ne pouvaient surgir que de sa propre tête comme si durant son sommeil on les y avait greffées.
Vague impression d'avoir lu cela quelque part ????
Bravo Helena !
J’ai vraiment beaucoup aimé ton récit !
Le réel ne se distord qu’à la fin et c’est réellement angoissant !
Merci.
Merci, Fil. J’ai eu du mal à construire ce récit. Pas mal de réécritures, alors que le Horla est si bien fait ! 🙂 Merci, encore pour ton encouragement.
Merci Helena. Il y a du « Horla » qui rôde. Préviens quand tu va mettre le feu à cet immeuble.
Non, il ne va pas brûler, j’ai déjà assez copié comme cela ! Je vais la faire déménager. Merci, Ugo !
Bravo, cette visite nocturne, fait froid dans le dos;
Merci, Laurent !
Bravo, cette visite nocturne, fait froid dans le dos.
j’admire vraiment ta capacité à écrire en français… et en portugais . Deux langues, quel talent il faut…
je retiens : « puis le bruit des choses inertes cessant, resta celui des choses humaines. »
et l’effroi (travaillé la veille) est revenu chez toi aussi
excellent et prenant….
Merci, Françoise ! En ce moment, j’aime énormément écrire en français ! Quant au récit, je dois réécrire la fin pour « serrer des boulons ». J’ai trouvé la fin peu fluide, mais il faut avoir du recul. M’en vais te lire, car absente deux jours !
Très réussi! J’aime beaucoup cette étrangeté et ce réel qui se trament, se nouent dans ton texte. Merci Helena!
Merci infiniment, Michaël, car cela n’a pas été facile à écrire !
Je ne sais pas bien commenter. Il est si bien ce texte. Je ne connaissais pas « Le Horla » je viens de le trouver en PDF, je vais le lire, mais je reviendrai vers ton texte.
Merci, Simone ! Mon texte comparé au Horla vaut un clou.
Formidable merci Helena
Merci, Nathalie. Contente que tu aies aimé !