Les voitures filent. Nous traversons la lande du Dartmoor, le pays des Baskerville. C’est beaucoup plus tard que je lirai le roman. Je ne me souviens pas de ma place dans le convoi de trois véhicules que nous formons, mais je suis dans la voiture de mes parents. Mon père est au volant, je suis assis derrière lui. Comme nous sommes en Angleterre, le sens de circulation est inversé. Ça compte sans doute un peu dans cette histoire : ma vue porte directement sur le bas-côté. Je ne sais plus où nous nous rendons. Touristes, nous louons avec deux familles amies l’annexe d’un château entouré de prairies vertes et grasses comme les moutons qui les paissent. Ce matin ou cet après-midi-là, le temps est un peu plus gris que d’habitude. Les adultes ont donc décidé d’une excursion en voiture. Je ne sais plus où nous allons. Le trajet me semble sans doute un peu long. Tête appuyée contre le verre sécurit de la vitre, je regarde la lande défiler avec, au fond du paysage, la masse sombre de la prison dont il me semble que nous ne pouvons fuir le regard inquisiteur. Personne ne parle, semi-somnolence. Bruit de la voiture qui roule. Nous maîtrisons trop mal l’anglais pour écouter la radio autrement que le temps de quelques blagues douteuses avec ce que nous pensons avoir compris. Et je la vois. Je la vois, elle. Je la vois, elle, là dans le bas-côté et je ne l’ai jamais oubliée depuis. Elle se tient là, debout, debout dans le fossé. Son visage. Son visage ruisselle de sang, un sang presque noir. Il macule sa chevelure bouclée blonde ou rousse. Il macule ses vêtements. Il macule ses petites lunettes rondes cerclées de noir. Elle est plutôt grande, maigre. Je m’en souviens. Elle a pris mon regard. La voiture la dépasse. Allure stable. Personne ne dit rien. Personne d’autre que moi pour la voir ? Personne du convoi n’en parlera. Jamais. Depuis, elle me hante la femme sanglante.
Jérôme, voilà une histoire bien anglaise, digne d’un film d’horreur où le personnage principal serait, au choix, ou l’enfant ou la femme sanglante.
Merci pour ce décalage de réel !