En fait, la chose est remontée, inattendue, à la lecture de la proposition. Elle n’est pas remontée telle quelle, c’est ce qui est étrange en fait. Elle s’est imposée à travers le récit qui suit, au contact même de ce que soulevaient les indications liminaires. Et donc le récit est exactement l’empreinte de la chose. Pour s’approcher encore, on pourrait essayer de dire qu’il s’agit d’un endroit absolument interdit (comme les jeux, qualifiés de même) mais qu’on a connu enfant. Une sorte de paradoxe incroyablement puissant, comment expliquer : tu vis enfant donc dans un endroit inouï, quasiment le paradis (on évitera le recensement de l’intérieur, ce serait trop long et ce n’est pas ici que le dépôt peut se faire) et il y a juste, comme anodine, l’interdiction forcément classique : tu ne vas surtout pas là. Pas besoin d’être sortie de Saint-Cyr pour comprendre que justement c’est là qu’on va aller : en mentant, en inventant. Du premier espace (les marches descendant dans le lac), on ne parlera pas ici mais du second, oui. C’est après, que le voici, déjà dans le prisme du déplacement. Décharge électrique. C’est là que question il y a. Parce que choc : il n’y a pas dans le Domaine initial que magnolias inouïs. Des ruines aussi, la preuve.
Il a lâché la commande du jeu vidéo qui finissait par lui prendre la tête. S’est dit qu’il avait envie d’aller au fond du jardin, à la limite, au fond de lui, là où l’on peut encore se perdre, même si c’est dans la tête. Sauf qu’il n’y a pas de jardin dans l’histoire. Il n’en n’a même pas parlé à son frère plus jeune, il lui a juste dit : Viens. – Normalement, on n’a pas le droit, a dit le frère. – Normalement ? Ça veut dire quoi ? De toutes façons elle travaille, elle rentre tard, elle n’a pas que ça à faire, penser à ce qu’on peut faire de nos journées. Les siennes prennent toute la place. Alors on y va, c’est comme ça. On reviendra à temps. Pas de jardin mais, hors de la cité, à l’écart, c’est la décharge à ciel ouvert. Avec ses vallonnements de déchets, ses montagnes de gravats dans des centaines de sacs blancs à demi éventrés, ses objets méconnaissables, des lots de flacons déversés, des caddies cassés ayant transporté des horreurs, de grandes tiges rouillées comme sorties d’un canal puant, des meubles démantelés qu’on ne peut plus récupérer sauf peut-être les tiroirs qui peuvent encore servir, des pages de livres sans couvertures et des couvertures sans pages, son puits d’eau stagnante, ses vêtements bizarres déchiquetés, ses barils vides, le feu qu’on y met. Un jardin, quoi. – Oui mais il parait qu’il y a des rats. – Et alors ? Peur ? Ils sortent la nuit et les petites bêtes ne mangent pas les grosses. – Il y a aussi la vieille qui mange des hérissons. – Elle ne te mangera pas, sauf si tu piques, idiot. Elle habite sur le terrain derrière avec les autres. Elle cueille des orties pour les soupes, tout le monde se moque d’elle mais il parait qu’elles s’avalent. On essaiera. Bouge-toi. Ils y sont allés, c’est le grand frère qui a dit, il faut obéir.
Le soir quand elle est rentrée, elle a trouvé l’écran allumé. La nuit était tombée, elle a cherché les enfants et l’enfance partout, dedans, dehors. Elle a fini par demander de l’aide. Elle a commencé à pleurer et les voisins avec leurs lampes torches ont balayé le noir, se sont éloignés un peu. Au fond, elle savait déjà. Les jeunes qui connaissent ce que jardin veut dire sont allés voir. Ils ont trouvé les chaussures du petit dans une sorte de cabane faite avec des restes de plaques de placoplâtre, un ciment de boue, une porte sans serrure, un toit en résidus de grands sacs plastiques. Il y avait aussi une couverture pourrie, des fausses fleurs pour la décoration, un vieil écran et deux commandes inutilisables comme si deux personnes venaient d’interrompre un semblant de jeu vidéo. Il y avait aussi dans un bol ébréché une soupe infecte comme quelqu’un qui aurait joué à la dînette mais personne. Enfin si : des centaines de rats comme toutes les nuits et on aurait même dit qu’ils étaient chez eux dans la cabane de la décharge. – On ne peut pas aller plus loin, il faut attendre le jour. En plus, la vieille aux orties, on la connait. Elle n’est pas méchante. Elle est bien placée pour savoir.
Voilà une histoire très angoissante !
On se demande jusqu’à quel point le réel a été distordu…
Merci Christine !
Très fort. A peine si j’ose le dire. Difficile de commenter. Très inspirant aussi.