Amalia n’aimait pas monter au grenier. L’accès par un escalier de bois trop raide et poussiéreux indiquait déjà la différence d’ambiance par rapport aux pièces d’en bas. L’odeur elle-même devenait immédiatement étrange, étrangère, comme venue de temps anciens qu’elle n’avait pas connus ou trop connus justement. C’est là qu’on étendait les draps en hiver pas trop souvent. Une grumeleuse pluie d’angoisse l’enveloppait à chaque fois. Je ne peux pas y monter seule disait-elle et on se moquait d’elle, les enfants aiment les histoires de belle au bois dormant et de quenouille oubliée au recoin sombre dans la tour où elle a été emmurée par son père ou quelqu’un de pas trop sympathique. Ils ont toujours le fantasme de pouvoir déjouer après-coup, un sortilège, une malédiction, un envoûtement injuste et de réparer une faute qu’eux n’ont pas commise. Ils inventent à profusion des histoires qui n’existent pas, qui n’ont jamais existé, mais qui pourraient exister, ils aiment se faire peur et faire peur aux autres. Ils se fabriquent à bon compte des frissons dont ils sont sûrs de ressortir indemnes. Les fêtes foraines avec leurs manèges horrifiques, leurs labyrinthes à miroirs, leurs balançoires à décrocher les mâchoires, leurs voitures tamponneuses sont un terrain d’expertise adulé ou redouté. La course à la « trouillardise » est l’un des jeux les plus répandus dans les communautés d’enfants préadolescents surtout, en famille ou dans les endroits où ils rencontrent les autres. Cap pas cap, on embête les filles, on les provoque, on les embusque, l’imagination ne manque pas, et les meneurs n’hésitent pas à frôler l’interdit ou le danger pour ce faire. Mais dans le club des cinq les filles ne sont pas en reste, elles sont parfois les cerveaux d’explorations inédites. On nous cache la vérité la plupart du temps disent-ielles, la fameuse « scène originelle » et bien d’autres choses encore, alors autant se faire une opinion nous-mêmes et surtout nous amuser pour nous rassurer. Ce ne sont pas les visages grimaçants et sanguinolents qui leur font peur, ni les squelettes en fac-similé (sauf la première fois) ils aiment les rebaptiser en les affublant de chapeaux démodés et de parapluies noirs, leur mettre une cigarette dans la bouche… Mais Amalia a des souvenirs qui la rendent phobique. Elle ne montera plus jamais au grenier seule -Ah ! vraiment, jamais seule, tu entends ? On ne saura pas pourquoi aujourd’hui.
La narratrice laisse divaguer ses pensées autour des fantasmes littéraires de Kafka, elle ne s’y sent pas à l’aise, les éléments biographiques et historiques, la mort prématurée de l’écrivain ne sont pas pour rien dans son blocage. A quoi bon ressasser des biographies qui suintent l’angoisse et l’impossibilité de la réduire même en imagination. Décoller du réel c’est décoller des peaux également, les remplacer par d’autres, beaucoup plus fragiles, et beaucoup moins protectrices. Le lecteur ou lectrice persuadé.e du contraire est convoqué.e à une promenade circulaire anxiogène dans l’absurdité que Camus a bien soulignée. Quoi qu’on fasse, on ne s’en sort pas, ça tourne mal et il faudrait en rire pour ne pas pleurer. Ce n’est qu’une option finalement.
Le cerveau aime ressasser ses circuits récurrents. L’écriture qui cherche le fantastique ne se contente pas d’une réalité qui la perturbe en profondeur, elle se complait dans des hallucinations qui déplacent sans cesse la question. Reste à savoir si la question est bonne à entendre ou à voir s’incarner dans un décor et des personnages nouveaux. Le fait même de regarder attentivement un insecte et de l’imaginer à une grosseur cent fois supérieure à sa taille à côté de soi en version rétrécie peut faire imaginer le pire ou le meilleur, l’art contemporain ne se vend que pour cela. Alice la gamine du conte n’en est pas vraiment revenue et son géniteur littéraire en a conçu une sainte horreur, la pédophilie existe dans l’art depuis longtemps. Est-ce que l’écrire « pour de faux » permet de mieux la combattre ? Dans tous les contes revisités on détecte aujourd’hui un parfum d’inceste ou de transgression mortifère où les enfants ne sont pas à la fête. Ne pas en rajouter. Mais les enfants ne savent pas en attendant qu’on leur explique la vraie signification des contes fantastiques à rebonds sensationnels. Est-ce qu’on peut faire sauter sur ses genoux une angoisse réelle ?
Merci Marie-Therese
« Laissez venir à moi les enfants » disait l’autre. Merci Marie-Thérése.
La dernière phrase offre des perspectives cavalières fantastiques pour un vieil adage