On vide l’espace, on descend les bottes de foin, les bottes de paille, les bottes de regain, on balaie, on pelle, dans notre grange, on abat les parois, on vire les poutres, on libère de l’espace, il faut tout vider, les sacs de grain, les fourches suspendues, plus rien ne doit rester, le monte-charge, les échelles, plus rien, les abreuvoirs, loin, les ficelles, loin, les dessins sur les murs, effacés, la fleur, le perroquet, les bonshommes aux moustaches exagérées, on les enlève, le câble et la manivelle, les poids, on nettoie, on ripoline, on fait du neuf avec du vieux, la porte tombe, une vitre la remplace, on a posé les chapes, le chauffage au sol, des tuyaux bleus pour l’eau, béton ciré, parquet, ici c’est la chambre de la petite, là c’est la bibliothèque, une grue – un nid de corbeaux sur la grue – des échafaudages, la fille de la ferblanterie grimpée sur le toit, les visages masculins obnubilés, on n’a pas l’habitude, dans notre grange, des filles de la ferblanterie, on a enlevé les échafaudages, on a repeint les volets, ici c’est le studio de F., ses deux terrasses, là c’est une passerelle, une idée de l’architecte, on fait visiter, on dit tout le mal qu’on pense de la dame des biens culturels, ça va, chez nous ce n’est pas protégé, on peut faire ce qu’on veut, ou presque, les murs porteurs, bien sûr on ne touche pas, la charpente non plus, on réhausse les sols, on remet tout d’équerre, on oublie qu’ici c’était le cochon et que là, dans le salon, on appelait ça l’écurie au cheval, mais qu’on n’avait connu cet endroit que comme celui où s’étalaient les oignons, et ici c’était la grange, là dans la salle à manger, il y avait une table, il y a toujours une table, mais ce n’est plus la même table, il y avait de vieux vélos rouillés et ce bidon plein de clous, c’était là mais c’était autrement, c’était dans la grange qu’il y avait ce qu’il y avait, c’était là, on n’en revient pas que c’était là, là que tout avait commencé.
Ce texte est si précis, si méticuleux, qu’il donne à voir chaque élément avec son poids et l’effort qu’il requiert pour avancer, construire et reconstruire. (Impression que ce texte a, aura, une place importante dans le projet général). Merci, Vincent.
j’aime beaucoup. Les gestes et les choses. Ce déferlement d’objets images. Le même et pas le même . Avant les bêtes et avant encore avant … au commencement. j’aime beaucoup comme ça revient comme en passant dans le mouvement
Formidable ! Le passé, le présent, le futur en un paragraphe, comme cette grange et ses histoires sont vivantes. Cette proposition donne une grande énergie. Comme dit Xavier, un texte clef pour la suite du projet, c’est sûr, en miroir de la mémoire avec le petit lecteur du début, c’est un régal.
(Quant à la dame des biens culturels (on dit par ici des bâtiments de France ! Ben oui) comme on aurait envie de la scalper, une chance pour la grange d’être hors du périmètre)
Le passé sera toujours pésent dans ce futur. Tout est dit si précisément qu’on s’y croirait. Merci