Adéle Lescanne, Rose Lescanne et Marie Voisin vivaient toutes trois au hameau de Montluzin et étaient inséparables. Marie avait déjà 24 ans lorsque commence l’histoire que je vais raconter, Adèle n’en avait que 19 et considérait Marie comme la grande sœur qu’elle n’avait pas. En effet Adèle vivait avec sa petite sœur Rose chez son oncle célibataire Nicolas Florentin propriétaire de terres et de vignes à Lissieu, loin de sa famille restée en Meurthe-et-Moselle où son père était cordonnier. Comment l’oncle était-il arrivé à Lissieu l’histoire ne le dit pas. Était-ce en tant que bourrelier qu’il s’était employé d’abord au relais sur la route de Lyon à Paris ? La famille Voisin était une famille importante de Lissieu, les ancêtres avaient été fermiers des châtelains d’avant la révolution et la famille avait sa chapelle dans l’église. Le père de Marie avait été maire de la commune, c’était une famille aisée qui avait alors trois domestiques et employait aussi des journaliers qui venaient d’un peu partout nombreux s’employer à Lissieu. Chez l’oncle d’Adèle, il y avait du travail ; Adèle et Rose remplaçaient un peu l’épouse que l’oncle n’avait jamais trouvée. Dans la famille de Marie, il n’y avait qu’un garçon Philibert et des filles Marie l’aînée, l’amie d’Adèle, Claudine et Marguerite, puis venait Mariette, la plus jeune. Adèle la presque orpheline et Marie l’aînée d’une famille respectée et prospère s’étaient choisies et rien ne pouvait les séparer.
Le plus beau de ces journaliers qu’employait le père de Marie s’appelait Guillaume Delorme venu de Chénas avec sa famille pour travailler les vignes. Adèle et Marie savaient bien qu’il voyait en cachette Mariette et Marguerite, qu’il tournait autour de Claudine et n’aurait pas hésité à les courtiser, elles Adèle et Marie et même Rose, si elles n’avaient pas été aussi inséparables à veiller à tout moment l’une sur l’autre et bien contentes de ne pas être embarrassés des assiduités d’un garçon. Les choses prirent un autre tour le jour où elles s’aperçurent que Marguerite devenait grosse et s’efforçait de le cacher. Mariette l’avait bien vu aussi et n’adressait plus la parole à sa sœur. Tout le monde fit semblant de ne rien voir ou de ne rien dire, mais les parents hâtèrent le mariage de Mariette pourtant plus jeune que Marguerite avec Guilaume. Celui-ci eut lieu de 13 féviers 1834, le lendemain 14 février 1834 Marguerite accoucha d’un enfant qu’elle prénomma Guillaume, sans jamais vouloir avouer le nom du père. Le bébé Guillaume partit en nourrice et on n’entendit plus jamais parler de lui. Quant à Mariette, la jeune épousée, elle donna naissance en juin quatre mois après son mariage à une petite fille qu’on prénomma Marie. Les parents se hâtèrent de marier Claudine la même année à un propriétaire de Lentilly et on ne les vit plus guère. Marguerite quant à elle continua à vivre chez ses parents comme si de rien n’était, continua aussi à voir Guillaume sans se soucier de sa sœur qu’elle trompait presque sans se cacher.
Le père Voisin mourut sans avoir marié sa fille ainée en 1838, puis le frère Philibert mourut lui aussi, toujours célibataire en 1841. Et puis ce fut le tour de Mariette qui mourut huit ans après son mariage sans avoir eu d’autre enfant que la petite Marie. Mourut-elle de chagrin ou de maladie, nul ne le sait. Elle avait vingt-six ans. Guillaume épousa Margueite trois ans après la mort de sa sœur Mariette, tous deux munis des dispenses nécessaires et s’installèrent aux Favières, pas loin de Montluzin. Rose la sœur d’Adèle et Jeanne Marie la mère de Marie moururent l’année de ce mariage. Adèle qui avait 30 ans et Marie qui en avait maintenant 35 se jurèrent de ne jamais se marier et de garder les hommes à grande distance. Ils étaient volages et cause de bien des malheurs.
Marie Voisin disparut dans un couvent. Est-ce cela qui poussa Adèle à épouser Jean Claude Damour en 1851 ? Ou bien l’oncle se sentant vieillir la poussa-t-il dans les bras d’un mari ? Elle a déjà 36 ans. Jean Claude Damour n’en a que 30. Jean Claude et Adèle s’installent chez l’oncle célibataire. Adèle meurt quatre ans après en 1855 et son oncle l’année suivante. Jean Claude Damour reçoit le petit héritage d’Adèle, demeure à Montluzin et se remarie. Marie la fille de Mariette et Guillaume épouse un Pinet du Mas, sa petite fille Jeanne Marie épouse un neveu de Jean Claude Damour et revient aux Favières.
Tout cela n’est peut-être qu’un rêve, une reconstruction à partir d’archives mal interprétées. Pourtant aujourd’hui encore, près de deux siècles après le début de cette histoire, Montluzin et les Favières sont toujours une propriété Damour et plus personne ne se souvient de la famille Voisin de Lissieu.
cette histoire, ces personnages, votre texte si calme et précis, ça donne envie d’en faire un film !
Merci Cécile. Oui un film d’époque ou de maintenant.