Il hurle encore tout en haut, dernier étage et pourtant. Il hurle le père l’homme, excédé de tout, l’emploi, ce qu’on attend de lui, ce qui germe, la toux des gosses, la mère dont il faut, la femme dont il faut, ce qu’on attend de lui, les brigades de règles, du respect des règles, des limites, des barrières, il hurle du fracas, il hurle de ne pouvoir, il hurle mais qu’est-ce que j’ai fait de mal mais qu’est-ce que j’ai fait de mal, il hurle va falloir faire une mise au point sinon, sinon, il hurle sinon, l’effroi la toux, ne supporte plus.
Dans le métro un homme fait irruption, il arpente les rangées et soudain il hurle, nous sommes tous condamnés, tous l’enfer, l’horreur, on va tous y passer, l’enfer, que nos vies de chiens, il sort un livre, lit de plus en plus haut et fort, donne de la voix, la rame s’arrête, une femme tremblante serre la main de son fils, sortent en secret, tremblants, l’homme les a vus, hurle qu’ils n’échapperont pas, à l’enfer, qu’ils mourront brûlés, l’enfant se retourne effrayé, brûlé, brûlé en esprit, il imagine, la mère le tire vers la sortie, ils courent sur le quai le long de la rame, ils réussissent à rattraper la locomotive en bout de train, ils frappent contre la vitre, font des signes, le conducteur baisse la vitre qu’est-ce qui se passe, est-ce qu’il est armé, le conducteur dit de rentrer dans la rame, il ouvre la porte de la locomotive à l’arrière, ils font le trajet à côté du conducteur, les tunnels sombres défilent par les vitres géantes.
Six heures trente encore nuit, hiver de janvier, février grand froid, de la neige peut-être. Les rames quasi désertes du RER B, peut-être est-ce samedi matin. Les gens sont assis emmitouflés, des slaves beaucoup, des femmes, grandes, vont travailler, des outils géants, des hommes par paquets de cinq, parlent des langues, les portières, sifflement strident, les portières s’ouvrent gare du nord. Un jeune rentre, le choc. Il est nu, il est nu, quasiment nu, un slip, la peau blême, il est très maigre, fait moins dix dehors. Il est nu, il chante, gestes désordonnés, cheveux méduse, on baisse les yeux, mal pour lui, les muscles blancs, les os, déambule entre les rangées. Pas souvenir de ses yeux. Les femmes baissent la tête, mon dieu, les hommes se frottent le front, on n’appelle pas les secours, effroi, on regarde extatique, des femmes disent faut t’habiller mon garçon la drogue c’est mauvais, tendent un linge, un foulard, frayeur qu’il crève de froid, les hommes finissent par bégayer, rires gênés, mal, effroi. On a mal pour lui. Beaucoup sortent de la rame. A côté c’est calme, ça dort encore contre les vitres.
le drame est là, juste dessous la chair du réel, irrémédiable
on a tellement mal pour eux, tu les décris avec toute ton humanité
touchée fort…
Merci beaucoup chère Françoise d’avoir pris le temps de me lire, vos impressions sont si importantes pour moi… ici on rentre dans l’inadmissible, le trop dur à , reprendre, retrouver…