Ça se passe sur le tarmac, un tarmac qui pourrait ressembler à tous les tarmac du monde, la nuit, avec la lumière des projecteurs sur les terminaux, celles des salles d’embarquement derrière les baies vitrées, celles de la tour de contrôle, les bandes lumineuses qui matérialisent la piste, les moulinets alphabétiques des sémaphores agitant leurs bâtons de 26 centimètres avec éclairage à led. Ce n’était pas n’importe quel tarmac. C’était celui d’un grand aéroport, dans les vingt premiers au monde en nombre de passagers. C’est là, sur ce tarmac où je venais d’atterrir d’un long vol sans escale de 13h35, que j’ai vu, de nuit, cavaler un cheval, affolé. Ça a duré un moment. C’était un cheval noir dans la nuit, poursuivi par un projecteur fixé sur un camion de pompier. Mon avion s’était arrêté sur le tarmac comme tous les autres avions. Les trois kilomètres et demi de la piste d’atterrissage traçaient une ligne lumineuse qu’il fallait à tout prix lui interdire. Ce n’est pas qu’il avait envie des grands espaces ce cheval. C’est qu’il avait peur. C’est qu’il ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Moi non plus. Les véhicules de sécurité tentaient de l’encercler mais il parvenait toujours à prendre le moindre intervalle et à prendre une nouvelle direction. J’aurais voulu ouvrir le hublot pour entendre ses sabots sur le tarmac, l’entendre hennir, souffler. Je ne sais pas comment ça s’est fini. À un moment, je n’ai plus rien vu. Nous sommes restés longtemps arrêté, à attendre. Je n’avais pas vu grand chose, mais j’ai en tête cette image du cheval noir pris en chasse par une poursuite blanche qui a traversé, l’espace d’un instant mon champ de vision, pour y revenir un peu plus tard, s’y arrêter puis disparaître.
un film muet sans fin le cheval court dans l’éternité Merci