La nuit, j’explore. Tu viens ? T’as les bonnes chaussures ? Et la frontale ? Dans ta poche la frontale, là on a encore les lampadaires, ils ne les éteignent jamais à Lissieu,ils les baissent vers 3 h du mat, on a le temps. Première étape, on passe sur l’autoroute, la bande d’arrêt d’urgence c’est pas dangereux. Tu crois qu’ils font comment les tagueurs ? Plusieurs solutions : escalader le mur anti-bruit, descendre d’un pont ou monter sur un pont, oui il y des barreaux t’en fais pas. Plus cool, la voie réservée aux secours, juste à l’entrée de Lissieu, il n’y a qu’une barrière à franchir. D’accord on fait ça. Tout ça c’est éclairé, il faudra faire gaffe. Ça nous fera pas un grand bout d’autoroute, mais bon si tu préfères. C’est beau l’autoroute la nuit. Après on remonte sur la N6, jusqu’au Nélie, l’ancienne gare, tu vois. Et on suit le ballast. OK c’est pas facile de marcher sur le bleu, y a pas de train la nuit, marche sur les traverses si tu veux ou sur le bord. Les bords de voies c’est mieux désherbé que les bords de route. Tu sens comme c’est frais, vivant, paisible la nuit. On va jusqu’au viaduc de la chicotière, c’est là que la voie enjambe le Semanet. Tu vas voir du viaduc on a une vue superbe. On se repose, on regarde, on profite. C’est trop beau, tu ne trouves pas, à nos pieds la Nationale 6 et Bois Dieu avec son bois et ses allées en colimaçon et au loin, plein est l’autoroute A6, plus loin encore, plein sud, un peu est l’A 89 qui se raccorde à l’A6. Trop beaux ces rubans de lumière dans la nuit, plisse les yeux, j’aime trop. Tu vois cette lueur diffuse dans tout le ciel, c’est Lyon, Lyon qui illumine la nuit. C’est beau le jour aussi, mais la nuit c’est magique, tu aimes ? Tu entends comme c’est calme, juste ce petit murmure en fond sonore et le vol des chauves-souris. Y en a plein sous le viaduc, elles ont des caches sous les travées. ou alors dans l’ancien four à chaux, il est par là pas loin,mais vraiment y a rien à voir. Faut pas avoir peur, c’est elles qui ont peur de toi. Elles cherchent les moustiques, pas les grosses bêtes comme toi. Allez, on repart, on descend dans le Sémanet faire coucou à la grenouille verte, au lézard des murailles ou encore le caloptéryx vierge. Il paraît que la construction du viaduc du Sémanet pouvait les déranger, je ne savais même pas ce que c’était que le caloptéryx vierge, j’ai cherché, c’est une espèce de libellule aux ailes bleu noir, une petite bête. T’en fais pas tout ça la nuit, ça dort ou ça sert de nourriture aux chauves-souris. Par contre, il y a des renards et des sangliers, possible qu’on en rencontre qui détalent devant nous. Tu es prêt. Descends doucement, sors ta frontale et allume-là. Les piles, ça pardonne pas, elles font au moins trente mètres, genre dix étages, faut être prudent. T’as trop peur. Pas grave on continue par la voie, il y a deux passages à niveau à 500 m, après on descend par une route, on rejoint la zone d’activité de Bois Dieu et Bois Dieu, le lotissement. Tu peux garder ta frontale, pas besoin de se cacher, regarde il y a encore du monde aux illuminés des Monts-d’or la brasserie de la zone d’activité. Ils doivent faire une soirée pour être encore ouverts à cette heure-là. Marche sur les allées piétonnières, un mec bourré qui reprend sa voiture c’est plus dangereux que de circuler sur la BADU. T’en as marre, t’as pas envie de passer par le Sémanet et le Bois d’ars. C’est vrai que c’est pas le plus facile, les chemins sont pas vraiment tracés et puis il y a des pentes sévères, presque des ravins. Dans le noir, ça le fait pas toujours. D’accord on laisse tomber, on rentre par le chemin de la cotonnière. On fera une pause sur le pont l’autoroute en sortant de Bois Dieu. Tu verras, c’est chouette aussi. C’est que des routes pour rentrer à Lissieu par là. C’est sauvage quand même mais c’est pas dangereux.
Rien de mieux que les marches de nuits pour se laisser absorber par les autres vivants. De loin les lumières de route qui passent sans jamais savoir qu’on est là. Percevoir lampe torche au front la nuit. Merci
merci.
L’ironie de ce texte m’enchante ! Et retrouver de nouveaux indices de l’enquête interminable et infructueuse sur les tagueurs pour en parler à Mathilde lui prouvera qu’elle n’est pas la seule à les pister… Merci pour cette ballade de nuit parfaitement courageuse !
merci Marie Thérèse. Lissieu n’est pas si riche que ça en tagueurs mais les ouvrages d’art pour trains et voitures pulullent depuis le 19eme siècle. l’aéroport est loin, merci.
Excellent… et totalement extatique. on accompagne les/le guetteurs, explorateurs, dans cette virée nocturne pour simplement sentir le chant de la peur en soi
tous ces animaux, ça frotte la peau rien que d’en parler
au début je croyais à des graffeurs, qui cherchent des murs, des plans, des passerelles, vraiment je pensais à ça
et le tutoiement est comme guide dans le noir, la lumière petite et ronde qui circule et fait soliloque…
j’adore ce texte Danièle
Merci Françoise, tu es trop gentille.