Dans le film qu’on se compose à l’esprit, et que je projette mentalement sur l’écran de la télé en écoutant du son, je nous vois dans cette galerie marchande, un peu spacieuse et vide au début, clinquante, neutre et vide, vitrinée, comme dans les films hirsutes de Fassbinder, où un homme saute et court à toute allure là-dedans, il fuit quelque chose, c’est peut-être un dealer, il y a de la musique rock très speed, David Bowie un truc qui flambe, comme Denis Lavant qui court le long d’un travelling dans Mauvais sang, il va très vite, comme Fassbinder conduisait très vite et filmait très vite, parce qu’il aimait les condensés, l’ivresse du condensé. Prise unique. Alors je vois ces groupes de jeunes qui se regroupent sous les escalators de la galerie, ils se regroupent, ils disent rien et ils regardent de loin les gens (on ne les voit jamais bien), et ceux qui se regroupent au tout début de la galerie, à l’ouverture, avec des glaces et des pains au chocolat, pour se poser entre l’ombre et la lumière, une chose de courant d’air qui rafraîchit la tête, et les manèges aussi, devant les manèges sur les bancs, il y a sûrement des courants d’air sous la mécanique qui tourne, et puis tout au fond de la galerie, près des portes de secours, les voies sans issues, les accès interdits, les derniers étages près des toilettes, il y a aussi des groupes de jeunes : ceux-là ont frôlé toutes les vitrines, ils ont rêvé devant, ils ont respiré des parfums, ils ont erré genre, marché toute la journée, ils ont chahuté, maintenant les yeux reposent au fond, dans un bouquet de visages, un peu éteints éveillés, repus, ne voulant plus du tout du jour et de sa lumière, comme une mutation d’animal nocturne, replié en dedans.
le plus beau travelling du cinéma français, non (du monde même) ? L’amour moderne hein…à chaque fois que je le vois, ça me donne envie de pleurer tellement c’est beau (j’essaye pourtant ,j’essaye…) (trop bien Françoise)