Derrière chaque porte. Derrière chaque souvenir. Quelque chose d’autre se profile. Un couloir, une pièce oubliée. Un souvenir dont on sait si peu. Quelque chose de perdu. Un geste démodé. Une mélodie reconnue. Une secousse de tremblement de terre. Un bruit de verre. L’envers d’un cri. Quelqu’un qui me ressemble. Des yeux fermés. Un mal de tête. Des mots enfermés dans la bouche. Une sorte de grimace. Des grêlons de vies essaimées. Des chaussures dans l’entrée. Des manteaux sur les patères. Une odeur de tarte aux pommes. Un rayon de soleil. Une voix qui chante Carmen. Un livre oublié sur le bureau. Un stylo, le capuchon tout près. Une fillette qui boude dans un coin. Le geste figé d’une main montrant on ne sait quoi. Une vitre qui sépare du monde.
Tout ce défilé d’ombre. Ce qui s’écrit, ce qui ne peut encore s’écrire, ce qui hésite entre les lignes, ce qui se cache encore, ce qui ne sera jamais retrouvé, ce qui était joyeux, ce qui restera triste, ce qui immobile se veloute de silence, ce qui bouge dans les tréfonds, ce qui s’entrevoit à peine, ce qui a fini de briller, ce qui plane au bord du mystère, ce qui se fige comme un glaçon, ce qui se drape de mensonge, ce qui aiguise le mépris, ce qui s’effiloche en lambeaux, ce qui est perdu à jamais, ce qui tremble encore, ce qui devient peau de chagrin, ce qui ne cesse de passer et repasser, ce qui s’envole comme les paroles, ce qui enracine le désespoir, ce qui erre dans le dédale du temps, ce qui s’éteint, ce qui se tient derrière le miroir.
Tu feras des photos invisibles. De celles qui font battre le cœur. Car toi seule peut les voir. Des images qui n’ont d’intérêt que pour toi, serrées au chaud entre les tempes. Des images de ce qui se meut dans ton esprit, de ce qui a fait ce que tu es. Elles flottent en toi, dérivent de temps à autre, mais ne se perdent pas. Les couleurs sont un peu passées, parfois même il n’y a que du noir et blanc, mais c’est ainsi que tu les vois. Il y a des silhouettes, souvent un peu de dos, un peu penchées aussi. Il y a la paralysie des sourires de circonstance dont tu cherches à percer l’envers de ce qui veut se faire croire. Il y a toujours la même fenêtre et les hirondelles qui tournoient de l’autre côté.
Tu as encore le temps. Mais tout s’effrite tu le sais, tout s’épuise, tout se défait. Tu descends chaque jour les barreaux de l’échelle plus qu’incertaine, et tu crains que la lumière ne s’éteigne. Il y a des jours où c’est l’impossible qui gagne, il y a des jours où tout peut encore s’envisager. Qu’est-ce que la moelle du temps ? Devant l’étranglement des jours, il reste le désir de passer les seuils qu’il reste à traverser. Forte de tout un passé, il suffit de vivre avec encore plus d’acuité le présent où il t’est donné de respirer. Laisse les épaves sur le bord du chemin, oublie les ombres passantes et déchire d’un grand sourire l’instant qui se profile. Aux lampadaires du temps, accroche des oriflammes chatoyants et secoue les pages des dictionnaires pour que tombent les mots que tu n’as pas encore prononcés, qu’ils traversent tes fenêtres.
Il mène à l’inattendu. C’est l’acte d’écrire par essence. Sinon, à quoi bon écrire ce que l’on a déjà imaginé. Se laisser porter par les mots, les images qui se forment, les assonances qui naissent, les soubresauts qui se produisent, les sentiers où ils s’insinuent, portent et emportent, sans savoir où l’on va. Laisser les yeux se tourner vers ce qui ne se voit pas, l’invisible photo à prendre, ce quelque chose qui palpite, cette soudaineté de bleu qui recherche à se dire, ce presque texte qui voudrait bien se former dans une nécessité que l’on ne savait pas, faire se rencontrer les mots, fouiller la langue, saisir ces étincelles autour desquelles des phrases peuvent s’enrouler, se déployer, éclore peut-être, traverser le miroir et le verre qui nous contient.
Solange, les lanceurs sont vraiment là pour induire de la réflexion et de la poésie.
Tes textes le montrent !
Merci !