Dans ce film noir et blanc, le gros œil traverse la nuit de la ville. La nuit et l’hiver de la ville. Il s’engouffre dans les lignes droites des rues. Il les survole à quelques encablures du sol. Un regard à gauche, un regard à droite. De chaque côté, les façades des immeubles défilent avec parfois la tâche blafarde d’une fenêtre encore allumée. Au niveau de la rue, les vitrines des petits commerces reflètent les enseignes de leurs voisines d’en face. Sur les trottoirs, les lampadaires n’éclairent que leurs pieds. Régulièrement, un amoncellement de poubelles déborde sur la rue, quelques bestioles furètent autour. Parfois aussi, le brillant comme miroir d’une plaque de verglas répandue autour d’un vieux tas de neige. Des volutes de vapeur clairs s’échappent par les bouches des caniveaux. Le gros œil file toujours, bifurque tantôt dans l’une ou tantôt dans l’autre des rues perpendiculaires qu’il croise. Les phares d’un fourgon hachent la nuit. Le gros œil aborde maintenant les docks et leur répétition de hangars aux lourdes portes fermées. Au loin, une petite lumière vacille dans l’obscurité. Le gros œil zoome. Un petit groupe d’hommes emmitouflés de haillons. Ils font cercle autour d’un brasero. Le gros œil les dépasse. Il se décale et prend maintenant en enfilade l’eau noire et luisante du fleuve. Il glisse presque au ras des flots noirs, transperce des poches de brume. Sa vitesse augmente encore. Soudain, la structure métallique d’un pont surgit face à lui. Il s’envole et s’immobilise au-dessus de la masse d’acier sombre. Ça bouge sur le pont. Le gros œil redescend au niveau du parapet. Là, une petite gosse, sa tête à moitié mangée par une cagoule de grosse laine. Le gros œil la suit. Elle marche jusqu’au milieu du pont. Elle se tourne face au fleuve. Elle regarde l’eau sombre. Elle escalade le parapet. Serré contre elle, un poisson. Un poisson borgne.
*Déjà présent dans la #1 et la #2, la petite gosse au poiscaille dans la #23.
Voilà un beau plan-séquence, qui se résout sur cette petite fille et son poisson. Étrange et très cinématographique !
Merci Jérôme !