Tu nais en Amérique un 29 juillet 1892. Tu meurs le 6 janvier 1930 d’une hémorragie cérébrale à l’Hôpital civil d’Ixelles: 61 rue du cygne en Belgique. Tu as 37 ans et 5 mois. Le sang envahit ta tête.
« decedent was indigent at the time of is death and left nothing but a few warm clothes » Tu laisses quelques vêtements chauds.
C’est écrit sur la fiche qui apparait avec une photographie sur l’écran de mon ordinateur ce matin d’avril 2020. Un blond en vêtement colonial écartèle les bras au dessus d’autochtones femmes et hommes portants de simples caches sexes. C’est une image. Ce n’est qu’une image. Le fait que tu es grand et blond, que tu es blanc. Le fait qu’il fait une chaleur tropicale et que tu portes des vêtements qui te protègent de la chaleur. Ce n’est pas ça qui me heurte. C’est ton geste ce sont tes bras portés au-dessus de leurs têtes comme ceux des saints sur les tableaux ouvrant leurs manteau pour accueillir les pauvres pêcheurs. Compassion. Domination. Humiliation. C’est dans ce geste que s’engouffre l’effroi. Que fais-tu au Congo? Pourquoi – Maintenant tu peux être plus grand de sept centimètres (sans que personne le sache) Dans cette image prise au Congo. Je ne vois que l’arrogance paternaliste de ta posture. L’arrogance de ton geste. Je ne veux pas te reconnaitre. La haute taille, la minceur athlétique. Les pommettes puissantes, la mâchoire étroite et la fossette au menton. Je ne veux pas te regarder. Les yeux légèrement bridés comme ceux de ton fils ainé. Non je ne veux pas te reconnaitre. Tu ressembles à ton benjamin. Tu ressembles aux images conservées par celle que tu avais épousé à Paris en 1919 à la fin de la guerre. Tu es venu d’Amérique pour « faire » la guerre en France, armé de ton trépied et de ton appareil photographique: un visage, quarante ans peut-être, la joue et l’œil soufflés par un obus, les cheveux brûlés d’un seul côté. (dans votre nuit renversée) Et celui-là assis dans la terre. Regard droit. Comme il semble calme, il n’a plus de mains juste deux moignons noirs. Sous les bandages se devine l’absence des nez, les mâchoires dévastées, les trépanations, les brulures. Qui a vu tes gisants? Dans votre nuit renversée. Qui a vu leurs souvenirs déversés sur ce drap? Lettres, portraits, rubans, mèches, des alliances. Ce képi trépané, cette main dans la terre. Tu arpentes les décombres. Tu photographies les fosses inondées de chaux. La brûlure d’un nom dans le bois d’une croix. Qui a vu tes images?
Tu feras des photographies invisibles (dont la frontalité stupéfie). Tu feras des photographies qu’on ne peut pas regarder ?
Ces voix ce sont les morts. ils font leur chambre sous la terre.
Où ai-je déjà entendu cette voix? Elle peut t’attraper n’importe où.
Qui a vu tes images de la guerre ?
Juin 2022 ce sont cette fois onze photographies prises au Congo qui apparaissent sur l’écran de mon ordinateur avec un cartel. Est-ce qu’il y a eu une exposition en Amérique? Elles sont envoyées par la fille de ton dernier fils ( l’oncle d’Amérique le frère inconnu des deux frères notre oncle inconnu) dont j’ai appris l’existence il y a deux ans.
the following photos, some of them rare and probably never published
des photographies invisibles
Onze portraits des hommes et des femmes, une enfant. C’est au Congo. Il y a aussi la photographie d’un bâtiment qui pourrait être une église et celle d’un banc d’extérieur orné de motifs géométriques et d’un animal, un éléphant peut-être.
Sur l’un des portraits le visage n’a plus de nez, ni de lèvres et les yeux semblent aveugles. Je vois les dents qui remontent de la cavité de la bouche. Un visage comme une plaie jamais refermée.
Le moment est venu.
Merci Nathalie Holt de n’oublier rien de ces images invisibles parce que l’on ne veut pas les regarder. « Un visage comme une plaie jamais refermée. » Les visages des colonialismes, les visages des guerres. Ne rien oublier.
Merci Ugo. Ne pas oublier. Comprendre aussi ce que l’on projette dans les images.
Oh, fabuleux !
Merci Helena
il faudra sans doute retirer les échafaudages, là ça me donne surtout envie d’aller recopier une autre trentaine d’entrées chez Munoz Molina pour en savoir plus sur lui, bravo
Merci François. Oh! Non pas retirer les échafaudages ça m’aide à m’approcher de ce petit morceau d’Amérique qui voyage beaucoup
Comme de coutume chez toi, ce texte est très beau et émouvant !
Les lanceurs sont faits pour lui !
Merci beaucoup Nathalie !
Merci Fil
C’est terrifiant. Et tu te saisis avec une grande justesse de cette histoire. Je crois qu’on ne pourrait mieux la raconter. Merci Nathalie.
Merci Xavier.