Votre voyage commence ici. C’est aussi ici qu’il se termine. Entre deux, c’est l’Amérique. Quand vous avez compris qu’il était parti, vous êtes partis aussi, à sa recherche, avec ce seul indice, l’Amérique. Vous avez pris le bateau, parce que les vaches ne prennent pas l’avion, mais il était hors de question que Dahlia reste ici sans vous. Vous avez débarqué à New-York, vous n’aviez jamais vu une ville comme New-York, une ville à la verticale, voilà ce que vous avez pensé, sans savoir que vous n’étiez pas les premiers à le penser, mais dans une ville comme New-York, comment voulez-vous retrouver quelqu’un quand votre seul indice, c’est l’Amérique ? Vous êtes restés quelques jours à New-York mais la ville vous a vite fatigués, comment voulez-vous vivre à New-York avec une vache, alors vous avez pris une voiture avec une bétaillère pour rouler un peu partout en Amérique, vous avez vu des déserts, des montagnes, des prairies, des rivières, vous avez vu des paysages immenses et vides, mais lui, vous ne l’avez pas vu, bien sûr. F. envoyait des cartes postales à la vieille. Dahlia s’ennuyait. Vous cherchiez une aiguille dans une botte de foin mais il fallait bien essayer, il fallait le retrouver. Vous n’osiez pas aller plus loin que cela : le retrouver. Alors qu’il fallait les retrouver, mais un seul, c’est déjà si difficile, alors deux, qu’est-ce que vous voulez ? Vous avez sillonné l’Amérique, vous êtes passés dix fois, vingt fois aux mêmes endroits, vous vous êtes demandé s’il y avait un moyen de ne pas chercher au petit bonheur la chance et vous avez pensé aux animaux, vous vous êtes dit : il est dans un endroit avec des animaux. Vous avez visité des réserves naturelles, Yellowstone, Yosemite, Everglades, Great Smoky Montains, Joshua Tree, puis des zoos, celui de Detroit, celui de Los Angeles – vous êtes allés jusqu’à San Francisco aussi, bien sûr, et vous n’y avez rien trouvé –, celui de Columbus, le plus grand zoo des États-Unis, et un jour, vous avez débarqué à Little Rock et vous avez demandé s’il y avait un zoo dans le coin et quelqu’un vous a dit il y a le zoo du fou et vous êtes arrivés devant chez vous, précisément devant chez vous, votre ferme, votre grange, votre dessin de fleur, votre dessin de perroquet, votre bidon rempli de clous rouillé, votre enfant et de l’autre côté de la route, quatre moutons, ceux à Ernest.
Pourquoi aller ailleurs puisque tout est ici ? C’est dans la grange qu’il y a ce qu’il y a, c’est écrit. À quoi bon partir ? Ailleurs, ici, qu’est-ce ça change ? Pourtant, ils sont partis, tous, même la vache Dahlia est partie, tous sauf la vieille sont partis d’ici, ils sont partis à l’autre bout du monde, elle en sait quelque chose, la vieille, elle a reçu toutes ces cartes postales avec tous ces paysages et seulement la lettre F. comme texte, et elle savait la vieille que quand le F. serait rouge c’est qu’ils reviendraient, mais si c’est pour revenir, pourquoi partir ? Elle ne comprend pas et eux non plus ne comprennent pas, ils sont partis et ils reviennent, c’est comme ça, mais ils savent que c’est dans la grange qu’il y a ce qu’il y a, ils le savent parce que c’est écrit, mais ils sont partis quand même, ils ont tout vu du vaste monde – elle, la vieille, elle sait tout ça par les journaux, l’Amérique, les présidents, la cour suprême, la statue de la liberté – mais ils reviennent. Bien sûr, puisque tout est ici, ils l’ont toujours su, mais ils sont partis quand même – elle ressasse toujours les mêmes choses, la vieille, c’est à cause de l’âge – et maintenant que les revoilà c’est ici que tout a changé, que tout a rouillé, que les orties ont poussé, que les bêtes ont été vendues, que les volets se fendent, que les murs se lézardent, alors ils auraient mieux fait de ne pas revenir, voilà ce qu’elle pense, la vieille, mais ils sont revenus, bien sûr qu’ils sont revenus, puis que c’est dans la grange qu’il y a ce qu’il y a, c’est écrit, elle ne peut s’empêcher de tourner en boucle dans sa tête les mêmes mots, la vieille, et il y a une question qu’elle se pose, la vieille : pourquoi aller ailleurs puisque tout est ici ?
Un endroit idéal pour se cacher. Monter des échelles, marcher sur des planches qui craquent, trouver l’ouverture dans la paroi, se faufiler par le petit trou, ce n’est pas un lieu facile d’accès, ce n’est pas un lieu pour les adultes, pense l’enfant, et c’est pour ça qu’il a choisi cet endroit, tout au fond de la grange, au-dessus de l’écurie, un petit cagibi où il a réussi à faire entrer un tabouret et son cahier et le livre d’Amérique. Un endroit idéal pour lire et pour écrire ces histoires d’Amérique et d’animaux qu’il aime tant, l’enfant, un endroit qui sent le vieux bois, pas la choucroute rance, un endroit plein de poussière, un endroit magique, voilà l’idée qu’il a de cet endroit, l’enfant, un endroit magique parce que c’est un petit bout d’Amérique perdu par chez nous, un éclat d’Amérique dans la vieille Europe, mais l’endroit magique, se dit l’enfant, ce n’est pas vraiment ce bout de grange, l’endroit magique, c’est le livre d’Amérique, et il a cette idée, l’enfant, que simplement en touchant le livre les yeux fermés et en prononçant une formule magique on s’y retrouve pour de vrai, en Amérique, alors il essaie, mais ça ne marche pas, il reste ici, l’enfant, dans cette grange, et le livre n’est qu’un livre, et le cahier n’est qu’un cahier, et le tabouret n’est qu’un tabouret, alors ici, c’est aussi l’endroit où il se cache pour pleurer, l’enfant.
Merci Vincent pour tous ces rêves d’Amérique !
enfin, je trouve quelqu’un qui a choisi un même titre que moi (un endroit idéal pour se cacher) et un deuxième que j’ai failli prendre (ta 2)
alors donc, chez toi, il est question de partir et de revenir
l’enfant lui ne part pas, mais il semble qu’il se cache pour pleurer
merci pour ces explorations de la Grange…