Arbore ton plus beau sourire. Il le faut, c’est pour ton bien. Sois poli et propre sur toi. Évite les vêtements trop typés. Jette ton chewing-gum. Vire tes piercings, cache tes tatouages. Dans ce secteur l’apparence ça compte. Le sourire, la politesse, important ça aussi, alors oublie pas. Dis oui à tout. Le patron et le client sont les rois. S’agit de la gagner ta croûte. Les horaires sont décalés ? Les horaires sont coupés ? T’es jeune, tu récupères vite. Le travail pas valorisant ? Tu as de belles évolutions de carrière. C’est mal payé ? Ah nous y voilà ! L’assistanat toute ta vie ? Parasite c’est ça ? Et les pourboires, ça compte aussi ! Tu voudrais t’épanouir dans un métier qui fait sens ? Alors gagner ta vie ça suffit pas ? Comment ça ta survie de merde ? Je t’en foutrais va !
En un seul jour. Combien de morts ? Combien de morts en un seul jour dans le monde ? C’est ça qui te vient en premier. Pourquoi eux les morts qui te viennent ? Sur internet, ils disent environ 157 000 par jour en 2016. L’ONU évaluait, vers 2010, à 25 000 morts quotidiens à cause de la faim. Les morts de faim. Sûrement bien plus aujourd’hui. D’après les chiffres de 2019, ça fait à peu près une ville comme Angers à disparaître chaque jour. Les morts deviennent des anges. Tu imagines, une ville entière de morts. Tu pars le matin, aucun de vivants le soir. À ton retour que des anges. Une ville de morts par jour dans le monde. Laquelle demain ?
Tu feras des photos invisibles. Juste avec tes mots, tu veux les écrire tes photos. Trop compliqué pour toi de photographier les habitants de ta ville. Tu ne veux pas t’exposer. Les gens vite suspicieux. Tu les imagines tes photos. Les composer mot à mot, ligne à ligne, du haut à gauche vers le bas à droite, comme le parcours du regard. Jamais saisie d’un coup d’œil tes photos textes, se mettent en place lentement dans la tête de celles et ceux qui te lisent. Te lisent avec les images que tes mots déclenchent dans leur tête. Vous les voyez pas pareil tes photos mots.
Et si tu glisses dans l’eau. Si tu glisses dans l’eau sous le pont de ta ville. Si tu glisses sous la surface de cette eau grise. Tu sens d’abord le froid, le grand froid qui te saisit, le grand froid qui t’envahit, le grand froid qui t’anesthésie. Tu flottes. Tout devient noir. Tout devient noir autour et dans toi. Tu flottes alors dans toi, dans le sombre de toi. Tu te replies en dedans de toi. Tu te replies tant que tu disparais à toi. Tu sombres dans tout ce noir. Les poissons aveugles et les poissons aux gros yeux jaunes te rejoignent. Ils s’occupent de toi. Tu es les poissons aveugles et les poissons aux gros yeux jaunes. Tu es les eaux noires.
Tout ce défilé d’ombres. Je te le souhaite. Je te le souhaite à toi et à tous ceux de ton espèce. Ta sale espèce de mâles vêtus de sombre ou de kaki, agressifs, violents, menteurs, vindicatifs, nationalistes, sexistes, racistes. Je vous le souhaite à tous de voir passer ce défilé des ombres dans votre sommeil. Les ombres, elles vont le faire tourner cauchemar votre sommeil de salauds. Et chaque jour qui passe, toujours plus nombreuses, à cause de vous, les ombres qui viendront défiler, pour pourrir vos nuits. De plus en plus courtes vos nuits à cause des ombres, de toutes ces ombres de vengeance. Elles vont venir vous hanter. Les ombres, elles seront là, dans vos têtes, à vous murmurer ce que leurs vies ont enduré à cause de vous. Bientôt les ombres, elles vous empêcheront de dormir. Vous aurez peur de la nuit. Vous serez seuls face à elles, avec elles dans vos crânes. Vous ne voudrez plus dormir. Bientôt les ombres, elles s’installeront aussi dans le jour de vos vies. Vous le verrez de plus en plus le défilé des ombres, dans les rues de vos villes, dans les couloirs de vos palais, sur les visages de vos proches. Partout les ombres.
beaucoup aimé ces variations…
ce défilé d’ombre qui me parle
merci Jérôme