#40 jours #03 | Les Gaboriau

Qui connaît Émile Gaboriau ? Qui l’a lu ? Quel livre ? L’Affaire Lerouge, son plus célèbre ? Le Chantage ? Les Gens de bureau, La Vie infernale ou La Disparition ? Non ? C’est qu’on ne lit plus beaucoup Gaboriau. D’ailleurs, moi-même… Qui se souvient de Gaboriau ? À Saujon, où il est né là en 1832, c’est la célébrité locale, et comme il a écrit des livres, ce qui n’était encore en 2011 que la bibliothèque municipale, rue Carnot, est devenu la médiathèque Émile Gaboriau, principalement grâce à un panneau vertical le long du pilier central, façon briquettes blanches, séparant deux baies vitrées sur une façade blanche, au rez-de-chaussée comme à l’étage, fondant l’établissement dans le décor de la rue marchande, lui donnant l’air d’une entrée de minimarché, ou de compagnie d’assurance, entre un magasin de vêtements d’occasion à l’enseigne fuchsia, Le Joli dressing, et un autre de neufs, dont l’enseigne semble avoir été décollée, avec de l’autre côté de la rue, un magasin de bijoux fantaisie, la galerie Carnot, un tatoueur, un palmier et un citronnier dans des bacs, un kebab, un magasin de déco, et, juste en face, rien, un local fermé, vide, un encadrement couleur brique, une vitrine à armature verte, un rideau de fer, le panneau rouge Vendu. Il y a un couple aussi, smartphones en main. Ils ont l’air d’écrire quelque chose. — La commune du Gua, voisin de Saujon, se souvient de Gaboriau comme d’une petite impasse au milieu d’une cité pavillonnaire plus grande que le village, avec de jolies petites propriétés, bordée par une espèce de bocage le long de la Course de Chalons, rivière sinueuse au milieu des champs, du marais, on l’a imaginé en plate-bande de goudron, en voie de garages, et de même dans les autres impasses, de Jean Oger Gombault, d’Eugène Pelletan, d’Henri Mériot et d’Agrippa d’Aubigné. — Un peu plus au sud, à Vaux-sur-Mer, ça recommence, Gaboriau n’est plus dans l’impasse, c’est le souvenir par une rue au milieu d’un quartier de maisons neuves, de résidences secondaires, les mêmes, d’un terrain encore vide, c’est le rêve d’un rond-point à deux bras au bord d’un parc, le rêve du massif à trois boules de buis coupé en deux par une langue brute, quand le temps se couvre un jour de novembre 2020, quand ça cogne juste de l’autre côté, en juillet 2013, et il y a un vélo qui s’en va, vers le soleil. — À Saint-Palais-sur-Mer, à deux pas, Gaboriau se tient là aussi, au-dessus du vide, et c’est le cauchemar des douaniers sur leur chemin, c’est la passerelle qu’il faut traverser, en surplomb et dessous c’est la mer qui s’engouffre, se retire et t’emporte, te jette dans les saillies rocheuses, te roule dans les algues, te laisse à la faune des vases. — À Royan, Gaboriau, on l’a vu filer après la gare le long de la voie ferrée, pendant une dizaine d’années, jusqu’à l’arrêt de bus, jeune blonde légère et court vêtue de noir un jour d’avril 2021, derrière un scooter noir et c’était dangereux à cause du sac de courses, juillet 2016, en cycliste blanc et bleu à vélo jaune, août 2013, accroché à une jeune fille à casque blanc en Vespa rose, juillet 2014, on ne l’a pas vu d’octobre 2017 à mai 2019 et la cité d’avant avait disparu et celle d’après inexistante, sauf cette jeune femme, robe et collants et chaussures noires, casque sur la tête, smartphone en main, sac en bandoulière et comme du papier blanc dedans et ça débordait, et en novembre 2020 on l’a vu sur le chantier en bleu de travail, pelle, seau, brouette en main, à couler des fondations, on l’a vu aller et venir par tous les temps, faisant des signes au départ et à l’arrivée des trains, au milieu des véhicules, des pavillons de part et d’autre, des haies, des arbres, sur ce trottoir rouge, violet, rose, une barre d’immeubles au bout de la rue, rasée, reconstruite et c’est tout un chantier, toute une structure à monter comme une maquette de papier au bout, au pied de l’arrêt de bus où il a fait le piquet bleu à corps vert et tête blanche, et on l’a vu monter une volée de marches, rondins de bois fichés dans la terre, reste de l’ancienne cité, en ligne directe vers la structure qui s’élève. — Mais certains disent l’avoir vu monter dans le bus et descendre à Montpellier, Hameau de Moularès, Aiguerelles, Prés d’Arènes, dans un petit quartier d’immeubles disparates, la gueule plutôt d’équerre mais c’est les vacances, à biner le petit potager à l’angle de l’impasse, se baigner dans la piscine du voisin, garer la camionnette jaune paille au pied de l’immeuble, s’essayer à la danse contemporaine avec l’équipe de Chicanes. — D’autres l’auraient vu descendre Val-Saint-Michel, Val-Bélair, La Haute-Saint-Charles, Quebec, Québec (Agglomération), Capitale-Nationale, Quebec, G3J 1L6, Canada, vert de se retrouver dans un labyrinthe de maisons garées comme des voitures sur des voies de parking qui se mordent la queue, coupant sans fin par la forêt. Et d’autres encore, pensent qu’ils seraient plusieurs, on aurait aperçu des Gaboriaux sur les bords de l’autoroute du côté de Trémorel en Bretagne, près du centre d’abattage, et d’autres vers Saint-Rieul, au milieu de nulle part, ni Argoat et encore moins l’Armor. — À Sauveterre, rien, sauf les livres de la médiathèque et la tombe.

Figure 10 – Médiathèque à Saujon – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 11 – L’Impasse du Gua – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 12 – Rond-point à Vaux-sur-Mer – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 13 – La Passerelle de Saint-Palais-sur-Mer – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 14 – L’Arrêt à Royan – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 15 – Vacances à Montpellier – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 16 – Dans le labyrinthe de Québec – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 17 – Centre d’abattage à Trémorel – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 18 – Nulle part à Saint-Rieul – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022
Figure 19 – La Tombe à Sauveterre – Google Earth en street view – copie d’écran 14062022

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

2 commentaires à propos de “#40 jours #03 | Les Gaboriau”

  1. Il l’a fait (figure-toi que je n’y avais même pas pensé ! J’ai foncé direct sur Ruibet et Gâtineau… et je crois que me souvenir que tu avais écrit sur eux également, ou j’ai rêvé ?). En tous cas, mille bravos pour l’intégration des photos du cimetière et surtout l’extension du domaine du Gaboriau où j’irai piocher sans vergogne en temps et heure). Leur multiplication me ramène à un passage de l’Archive : Il se trouve encore quelques panthéistes acosmiques furieux pour récuser la Démonstration de Lecok, qui tend à prouver que le fameux sanglier se dupliquait sans fin dans une anomalie de l’axe du sud, qui doublait la route du sud de plusieurs couloirs spatio- temporels, pour dire les choses un peu vite.
    Tu penses qu’elle a quelque chose à y voir, avec tous ces Gaborieau, la Démonstration de Lecok ?

    • Ben oui, quand même ! Sur le plan littéraire, il n’y a que ça sur place (je mens, il y en a un autre qui a publié quelques livres, dont certains sur Sauveterre, mais il reste trop contemporain et sans faits d’arme pour avoir un nom de rue ou une plaque quelque part). — Je ne sais pas toi, mais je sens que je vais décrocher doucement par manque de temps et défaut de rapidité d’exécution. 40 semaines me conviendraient mieux… — Ruibet et Gatineau, j’en ai parlé juste avant, un peu. Je n’aurais pas pensé à eux pour ce type d’exercice. Et je suis bien curieux de te lire de ce pas. — Je ne sais pas où tu trouves tes images (et ça doit prendre pas mal de temps ça aussi), mais j’aime beaucoup.