Le Coq ? c’était l’autre bar où on allait, mais surtout pour se donner rendez-vous là, tous les autres jeunes allaient Chez Coco, le Coq ça restait un bar pour des habitués, on se mettait dans un coin, on prenait un verre, deux, trois, six, douze, et en face il y avait les joueurs de cartes, tarot, poker, et ça jouait de l’argent mais chut ! bref ! on venait là aussi parce que Sasam habitait là, ses parents tenaient le bar, M’sieur Rémi, l’air bonhomme, discret, et sa mère dont j’sais plus le nom, grande, maigre et impassible, un grand bar mais vide, des tables et des chaises d’un côté et de l’autre, deux ou trois au milieu, des banquettes le long des murs opposés, vert foncé, et un grand, un énorme miroir à droite, le zinc au fond, et tout à droite un passage vers la salle de jeux et de billards sans ouverture et sous néons blafards, le troquet du coin en somme, qui ne payait pas de mine à l’époque, avec sa devanture en pierre grise et le trottoir pour une terrasse à deux petites tables, alors qu’aujourd’hui, on l’a bien ravalé, genre haussmannien avec la pierre d’un clair écru, et c’est vrai que ça fait bien ressortir le balcon à l’étage, les grandes fenêtres en arc et moulurées, et le petit balcon en encorbellement au deuxième, dans les combles, pour une belle petite fenêtre surmontée d’un fronton, d’un visage, la route s’est écartée pour une terrasse digne de ce nom, du Coq d’Or, bref ! c’était ça chez Sasam, et c’est tout ce que j’en connais de chez lui, j’suis jamais monté à l’étage où il vivait, j’suis juste allé aux toilettes du bas, à la turque. Combien on était déjà ? J’sais plus, mais il y avait Ben, toujours le dernier alors qu’il habitait à deux pas plus bas, dans un appart du même style, plutôt cossu, c’était chez lui qu’on finissait la soirée, surtout moi qu’il hébergeait presque toujours, dans la chambre du grand frère, avec ses posters du Che, visage en noir et blanc à fort contraste, noir ou blanc quoi, et Libérez Mandela, en rouge et noir j’crois bien, c’est avec eux que j’me réveillais, et la gueule de bois, après avoir fini la nuit au frais dans la cave toute en pierres et voûtée, qu’on appelait la Bentchouli. Il y avait Cecca et sa touffe sur la tête, mèches en suspension, style Bob Smith, il faisait un bon kilomètre à pieds, depuis Saint-Germain, je dormais aussi chez lui de temps en temps, même si c’était un bazar pas possible dans la chambre, avec des fringues qui débordaient du placard, qui trainaient au sol avec ses cahiers et ses chemises de cours, et sur les tomes de la batterie et j’suis sûr que y en avait aussi dans la grosse caisse en plus de la couverture, mais c’était bien le matin parce qu’il y avait une terrasse et en contrebas un coude de la Seûle, on prenait le café là, devant cette eau qui courait et nous lavait le cerveau en éponge sèche, pendant que son père nous préparait le café, et j’parle du matin mais celui d’entre midi et deux. Cecca il venait souvent avec le granb Bat qui habitait pas loin dans une résidence, la Philippe ou Daniel, j’sais plus, qu’avait de résidence que le nom parce qu’il vivait avec sa mère au milieu d’une dizaine de tours HLM ocre défraichi aux parterres de gazon en friche ou désertiques, toutes refaites aujourd’hui avec des bandes blanches, une façade beige, là une marron et là-bas gris, et des mosaïques de rose et jaune et vert pastel, quelques haies et des arbres pour égayer, bref ! Bat c’était du jaune paille brûlé, dans un petit trois ou quatre pièces, au deuxième ou troisième, j’sais plus, j’suis allé qu’une fois ou deux chez lui, avec Cecca sûrement, on se vautrai dans le canapé et on jouait à la Gameboy avant d’aller en ville, Bat en Solex. Il y avait Jojo parfois, Jojo, sa bille de clown et sa petite voix, à côté de Coiffinet’, une petite maison pavillonnaire dont j’ai connu que le garage et la petite cuisine toute en long, et son jardin aussi, petit mais labyrinthique, et pour rejoindre le Coq on coupait par la veille rue du centre qui serpente derrière les immeubles, toujours sombre, sans lumière, et gare à la tête dans les passages voûtés. Yoyotte venait en voiture, avec sa mère ou un autre passé le prendre, j’ai fait ça quelques fois, c’était dans les derrières de Sauveterre, le village à côté, un hameau à maisons neuves, le garage était toujours ouvert, les murs recouverts de bois, de planches, un établi et des appareils et du matériel pour le bois, son père menuisier avait toujours un truc à bricoler dedans, dehors quand il faisait beau, et sa mère dans le jardin. Juju, toujours la classe, l’air de ne pas y toucher avec son air juvénile, et ses cheveux fins toujours à remettre en arrière, j’suis allé quelques fois chez lui, à l’entrée de Sauveterre dans une propriété boisée, cachée au fond du parc, toute en longueur et j’arrivais jamais à me repérer dedans, avec cette cuisine centrale qui semblait donner dans toutes les pièces. Colo, le gros Colo, on n’allait pas chez lui, sauf une fois où il s’est décidé pour un premier de l’an fin 1999, j’sais juste que le jardin était en friche et on s’est vite retrouvés sans lumière, à cause de la tempête. Le Beg, le plus jeune, le plus petit, toujours la jambe en vrac, lui il vivait carrément dans un immeuble, une grande propriété viticole, de pineau et cognac, avec je ne sais combien de pièces aux volets constamment fermés, la première soirée qu’on a faite chez lui, j’crois que c’était aussi pour la nouvelle année, j’ai renversé une statue qu’il fallait surtout pas toucher en faisant une glissage sur le parquet de l’entrée, j’me suis pas arrêté, j’ai taclé la console, et bing la cigogne qui valait bonbon, j’étais bourré évidemment et j’suis allé chialer en m’enfermant dans une pièce qui sentait bon la poussière et le salpêtre. Seb habitait un peu plus loin, à Clam, j’sais plus trop où dans le bois, j’y suis allé une seule fois avec tout le monde pour un anniversaire, une grande maison, un grand jardin où on a fait les cons tout l’après-midi, et j’me souviens surtout qu’o faisait courir le chien de Juju, un petit bouledogue très joueur mais qui s’épuisait vite, langue pendante. Voilà, c’était ça en gros le petit groupe du Coq, le noyau. Il y en avait d’autres, bien sûr, qui venaient se greffer de temps en temps, et des filles notamment, faut pas croire. Mais c’était moins fréquent, parce que les autres allaient plutôt Chez Coco, ou parce qu’ils habitaient plus loin et pouvaient pas venir tous les week-ends. Et j’crois bien qu’j’étais un des plus loin, à la ferme au fond de la campagne, près de l’estuaire et des marais.