Les mots des agents immobiliers sont mieux payés que ceux des écrivains, journalistes ou autres rimailleurs. Ce constat très simple doit vous faire réfléchir. Vous voulez un exemple, le voici, banal et assez sobre :
« Belle maison d’architecte de 180 m2 A seulement 20 mn de Lyon, venez découvrir cette magnifique villa d’architecte (1983) située au calme dans une impasse, d’une surface de 180 m 2, comprenant un grand séjour double en plafond cathédrale avec cheminée orienté Sud/Ouest, une cuisine équipée (ouvrable), 5 chambres (dont une suite parentale avec salle d’eau/WC), un espace bureau en mezzanine, une buanderie, un WC, une salle de bains, une serre et un grand garage double; le tout sur un joli terrain paysagé de 1502 m2 avec piscine et jeux de boules. Proximité des commodités (bus, écoles et commerces) Chauffage électrique au sol et convecteurs. Arrosage automatique intégré. »
103 mots. Avec une commission de 6 % (c’est une moyenne) du prix de vente soit 799 000 euros, cela donne 465 euros du mot ! Qui dit mieux ? Je sais bien qu’il n’y a pas que le texte à inventer, il faut aussi trouver le bien et le client et puis faire visiter. Payer le photographe et les petites annonces et les frais généraux. Rien de bien différent de ce que doit faire un écrivain : trouver des idées, un éditeur et des lecteurs, payer la couverture, la mise en page et la correction et faire bouillir la marmite en attendant. Des mots bien payés pour tant de mots inutiles, de redites, si peu d’informations . Mais il y a ce « venez découvrir » , cet incipit aussi original qu’un « il était une fois » et qui marche tout autant.
Vous savez construire une phrase simple, vous ne craignez pas les adjectifs, les anglicismes, les néologismes. Vous pouvez même vous permettre quelques fautes d’orthographe sur des mots difficiles comme abri (avec un s) ou puits (sans s). Allez-y, vous maîtrisez la rédaction d’annonces immobilières !
L’important c’est de raconter une histoire, d’employer des mots qui font rêver à cette enfance que vous n’avez peut-être pas eue : la bâtisse, cachée derrière un grand portail rustique, cette époque agricole révolue, l’ombre du tilleul (600 000 euros) ou à cette liberté tant désirée dans un environnement privilégié géré par une association libre en autogestion (?). Non, ce n’est pas une ZAD, c’est le domaine de Bois Dieu. La terrasse est sans entretien, la maison sans vis à vis et l’arrosage intégré (749 000 euros)
Vous n’y connaissez rien en termes techniques ou juridiques. Ne vous inquiétez pas ! les termes techniques du genre « Sanitaires et meuble vasques Jacob DELAFON, carrelage en 60 x 60, parquets dans les chambres, portes fin de chantier MOSEL TUREN, menuiseries extérieurs en aluminium RAL 7016 »,ça fait constructeur,c’est lourd. D’ailleurs il n’y a que les constructeurs pour les employer dans leurs annonces. L’agent immobilier, c’est l’artiste de la branche, celui qui apporte la part de désir au matériau brut.
Il existe des lois aussi, ne vous encombrez pas, mettez en toute fin d’annonce la mauvaise nouvelle du genre : Logement à consommation énergétique excessive : DPE : F – Obligation de parvenir au seuil de 330 kW/m²/an avant le 1er janvier 2028 (600 000 euros). Ainsi vous serez en règle et vous pourrez toujours préciser au moment de la visite que ce n’est pas grave, les contrôles sont inexistants et que d’ici là la réglementation aura changé. L’agent immobilier ne s’encombre pas, il laisse cela à d’autres ou à personne.
Entraînez-vous, lisez les catalogues d’annonces immobilières. C’est moins long que de lire La recherche et c’est sans risque ! Les achats compulsifs en matière d’immobilier ne sont pas légion et votre banquier saura bien vous rappeler à la raison. Vous trouvez ça répétitif, ne vous découragez pas ! C’est la vraie vie ! Entrez dans la peau du personnage que vous êtes en train de devenir. N’oubliez pas qu’un agent immobilier performant, c’est quelques dizaines de milliers d’euros à chaque transaction, une belle rémunération de votre talent littéraire. Vous pourrez toujours écrire des romans à côté.
flamboyant et drôle ! merci pour ces sourires grinçants,
merci Catherine. le tien n’est pas mal non plus. l’intime et le politique, deux pôles.
Ce texte m’a fait penser à la trilogie de John Ford et son personnage Frank Bascombe, qui est d’abord écrivain, puis reporter sportif, puis devient agent immobilier. Et là, effectivement, il s’enrichit !
l’agent immobilier a sa place aussi en littérature TC Boyle, Richard Ford. Ce sont des gens qui me fascinent. Lissieu en est plein…qui se font aussi construire des maisons tout à fait étonnantes. Et pas besoin de grandes études !
J’achète, bravo.
Nous avons d’autres offres dans la même gamme de prix. N’hésitez pas à nous consulter. Merci.
Trop bien vu. Une expertise immobilière peut se facturer à 1600 €. Vachement mieux qu’une avance sur les droits d’auteurs. Merci Danièle
l’agent gagne bien plus que l’expert quand il est au pourcentage.Merci Ugo.
Belle invitation. Un judicieux rappel au principe de réalité. Merci Danièle.
c’est de lobservation sur le pas de ma porte. merci.
Superbe j’adore! Je me lancerais bien tiens!
« L’agent immobilier, c’est l’artiste de la branche, celui qui apporte la part de désir au matériau brut. »
et oui, un artiste qui devient riche, ce n’est pas si courant.
Finalement, pourquoi on se décarcasse tant alors que c’est si simple et efficace d’écrire pour faire rêver !
Merci Danièle !!
Ah ben oui. Et toi avec tes vaporettes, quel souci ! quand unpaquet de tiges et un briquet suffisait. Moi je suis passée aux nicorettes, c’est moins technique.
J’ai adoré ! Flamboyant, pour reprendre l’adjectif de Catherine. Oh oui, si fin, si drôle et l’idée de comparer le prix des mots de l’agent immobilier et celui des mots du romancier, quelle trouvaille et que tu pousses de bout en bout. Bravo !
Merci Anne, quand je te dis que l’immobilier a du succès. c’est un sujet universel.
Bravo, on a plus qu’à mettre en vente le château de mon père! Implacable
Donne moi un prix, je suis preneuse. C’est difficile à vendre, mais château ça en jette tout de suite.
Excellent Danièle, quelle énergie !! et la structure du texte est redoutable : exposition franche de l’annonce, puis dessiccation du jargon, dissection méandreuse de cette chair infâme, et la chute finale qui exacerbe toute l’ironie, bravo bravo, on n’en peut tellement de cet univers aux longues dents !!! c’est CATHARTIQUE
Merci Françoise. J’ai bien aimé le tien sur le développement personnel ausi cathartique que Blanche Gardin.
C’est décidé, je change de métier ! Merci Danièle pour la causticité de ce texte.
Tu as raison, change ! J’en connais qui gagne beaucoup d’argent.