Un petit gosse. Il se balade dans les rues d’une ville de l’est américain des années 30. Estomac presque aussi vide que ses poches et celles de ses parents. Après l’école, il vend des journaux à la criée. Le soir quand il rentre dans son bloc, il passe devant une petite librairie. En vitrine, les couvertures aux couleurs vives des pulps et celles, plus sobres et proprettes des livres. Même pas possible d’en avoir un pour presque rien. Alors, prendre son temps, lire les titres, observer les couvertures. J’imagine toute la journée avec ça dans la tête, à choyer le précieux souvenir. J’imagine, un soir le libraire, à force de voir la petite bouille fatiguée, qui offre un exemplaire. J’imagine peut-être qu’en musardant, le gosse en trouve un sur le trottoir, de vieux pulps. De retour à la maison, expédier les devoirs mais rester sur le coin de table. Rester et travailler pour de faux. Rester et imaginer les histoires jamais lues de la vitrine de la petite librairie. Alors, noircir et noircir, les pages du cahier. Bientôt pour le petit gosse, l’accès aux rayons de la bibliothèque. Plus tard, ses livres à lui en vitrine, avec belles couvertures.
Tu entres pas. Tu as jamais osé. D’abord pas l’argent pour. Tu sais pourtant que c’est possible les visites libres et sans obligation d’achat. Trop difficile. La crainte de devoir te justifier, expliquer ta présence ici. Ta certitude à ne pas te sentir légitime pour. Ta certitude que ton illégitimité, tu la portes sur toi. Ta certitude que la personne assise derrière son bureau/ordinateur épuré verra ça en premier de toi. Alors non, tu t’autorises juste à passer devant la vitrine, sans même t’arrêter. Tu écarquilles les yeux pour enregistrer la maximum de détails. Aussi, les images de la presse spécialisée à découper et à collectionner dans un cahier grand format ou sur des pages A4 insérées dans des pochettes polypropylènes rassemblées dans des classeurs. Maintenant, ton fichier ALBUM dans le nuage. Un temps, ce délire de vouloir reconstituer rien que pour toi ce qui te plaisait dans les vitrines. Jamais plus loin que l’idée. Aujourd’hui, tu pourrais peut-être entrer et en acheter, certaines des plus petites mais non, toujours pas. Culpabilité de piocher dans les économies, crainte du coup dur, culpabilité à garder plutôt qu’à donner et puis aussi, ta défiance quant à l’attachement aux objets. Alors, jamais entré dans la moindre galerie, ni pour voir, ni pour acheter.