Il avait toujours acheté là, tout. Tous les nécessaires, tous les indispensables, tous les incontournables. Son premier Grevisse, sa collection de Bescherelle, ses premiers stylos plume à pompe, les encres, ses blocs de Midori, ses ramettes de Rhodia. Au fil des années, le magasin n’avait jamais cessé de se transformer. Il y avait deux étages à présent dont le premier était exclusivement dédié aux écritures numériques avec un open space d’où l’on pouvait se connecter à des masters class avec les plus grands auteurs on line. On pouvait payer sans contact. Tout réserver ou commander en ligne. Ce qu’il voulait s’offrir aujourd’hui par contre il ne l’avait pas trouvé sur le site web de l’enseigne. Il savait que c’était une demande rare, qu’il fallait être discret. Il avait appris par l’une de ses amies auteures qui était, elle même, d’une grande exigence, qu’il fallait se rendre sur place, aller au second étage et demander dans quelle édition « Paludes » était disponible.
— Patientez un moment, je vous prie, répondit la jeune femme à l’accueil de l’étage Littératures. Je vais voir si notre spécialiste d’André Gide peut vous recevoir.
Quelques petites minutes plus tard, la jeune femme revint et l’invita à entrer dans un étroit salon où un homme d’un certain âge l’accueillit, le conviant à prendre place sur un canapé qui occupait toute la pièce.
— Que puis-je faire pour vous ? Dites-moi.
— Des progrès dans l’art d’écrire. J’en ai besoin. Il m’en faut…C’est urgent… Je…
— Vous savez que cela a un prix ?
— Ce n’est pas un problème. Je suis disposé à payer ce qu’il faut.
— Je n’en doute pas cher ami, mais en avez vous les moyens ?
— Votre prix sera le mien.
— Vous vous méprenez sur le sens de mes paroles, dit l’homme d’un certain âge en sortant de la poche intérieure de sa veste un Bristol.
— Tenez, lisez notre devise et revenez vers nous quand vous voulez, dit l’homme d’un certain âge en se levant.
Son visiteur sortit du magasin. Il tenait un Bristol dans sa main gauche. C’est la première fois qu’il quittait cet espace sans rien avoir acheté. Il venait de comprendre qu’il n’était pas prêt.
Chaque progrès dans l’art d’écrire ne s’achète que par l’abandon d’une complaisance.
André Gide
Terriblement drôle.
Le début d’un roman? j’adore le code d’entrée dans le salon réservé et la chute avec ou sans codicille
Jouissif ! Merci.
Merci Betty, Nathalie, Irène de vos passages. Trop complaisants peut être ?
« un homme d’un certain âge l’accueillit » très intrigant ce monsieur, on aimerait en savoir plus Merci pour ce moment plaisant de lecture
Merci Véronique. Moi aussi j’aurai bien aimé en savoir plus sur cet homme d’un certain âge.
non, pour payer, c’est SANS contact – après tu fais comme tu veux – essaye encore (j’ai aperçu Borges dans le type qui lui donne un bristol -après je me suis dit non, c’st Georges Wilson dans le rôle)
Merci Piero. Corrigé, le contact. Et oui, Georges Wilson.
Magnifique, ce salon de libraire réaliste magique !
ho la jolie petite fable…