Déboule le taboulé qu’ils disent magique parce que qu’au fond du très grand saladier de verre lui aussi acheté dans la grande surface tu as tout mélangé, y compris de quoi leur faire manger des souvenirs – repas de la fête des voisins, du parking le soir, de la cave devenue maison de quartier, de la salle polyvalente un jour de répétition, de la table avec au centre ton amour quand il était encore de ce monde. Penser à tout. Penser à eux. La liste, pas besoin de l’écrire sur du papier, elle s’écrit toute seule à l’intérieur. La base, rayon riz pâtes et en face, la semoule grains moyens l’histoire du blé transformé dans un sac. Marque abordable, un paquet entier dont le contenu va gonfler en se mélangeant au reste, dans le saladier plein, si souvent transporté dans un grand sac. Deux boites de thon, les miettes d’un poisson qui ne ressemble plus à un poisson mais qui entre dans la composition en sortant de son habitacle circulaire bleu clair: tu l’intègres au tout. Il a sa place. Tu changes de rayon : vers le frais, le multicolore, les fruits et les légumes qui se trouvent représentés sur les balances pour la pesée. Tu pèses tes mots, ce n’est pas n’importe quel taboulé. Tomates juteuses et poivron jaune récemment devenus bio comme par enchantement. Les petits oignons frais ; le concombre et le pamplemousse, à la pièce. Tout scanner, l’hôtesse de caisse ou toi dans la peau du personnage. Tout regrouper pour ne rien oublier. Manque d’ailleurs une boîte de maïs , on répare, on repart, retour en arrière dans le film de la grande surface mais attention il faut se méfier et bien lire les étiquettes. Pas d’OGM. Pas d’organisation gavante mondiale. Du vrai maïs. Au passage tu te dis qu’il faudrait inscrire des poèmes sur les boîtes, les paquets, les lots. Ça changerait les idées des clients dans les files, en attendant le passage en caisse avec l’angoisse de l’addition. Manque la pointe de curry, mais chez toi tu en as encore. Le vinaigre Melfor, prix abordable lui aussi et saveur douce. L’huile d’olives : les prix flambent. Les olives à la grecque n’ont pas augmenté. On prend. Pour la touche finale, il faut de la menthe. En voici une botte, aux environs de deux euros. Et puis non. Tu te souviens qu’un jour l’homme des espaces verts en avait planté secrètement dans un massif. Depuis elle s’est répandue. C’est de la menthe poivrée. Pas besoin d’en acheter. Le sel, le poivre mystérieux. Reste à payer avant de rentrer, éplucher, couper en petits morceaux, tout enfouir dans la base de semoule et de données, assaisonner ça n’a pas de prix, se rapprocher du goût qu’à chaque fois prend le taboulé en devenant magique éclectique partagé, débarrassé de l’achat.