Tu te souviens. Du temps passé dans les librairies. Depuis toujours, te semble-t-il. Avec ton père d’abord. Puis seule ensuite. La main dans la poche, qui tenait le billet. L’autre qui touchait les livres. La main du réel. La main du désir. Puis les calculs à faire. Un gros livre, de poche bien sûr ou deux petits. Le billet n’était pas bien gros. Et c’était pour un livre. La question ne se posait même pas. Alors tu tournais entre les rayons. C’était la Pochetèque, le magasin. En face il y avait la librairie avec des livres brochés ou reliés. Là, tu ne pouvais pas y aller. C’était trop cher. Tu suivais les parutions de tes auteurs favoris. Et tu attendais qu’ils soient en livres de poche. Tu avais tous les catalogues des livres de poche selon les éditeurs. Des traits rouges barraient les livres déjà lus. En vert, tu entourais les livres espérés.Tu recommençais à chaque nouvelle parution des catalogues. Tu connaissais la liste de chaque éditeur. Mieux que les vendeurs. Tu passais souvent dans ce lieu. Aujourd’hui, ça n’a pas changé. Aller en ville signifie aller dans les librairies. Passer de l’une à l’autre. Il y en a quatre dans le centre-ville. Je fais d’elles mes errances. Parfois pour rien. Mais c’est rare. Avec une préférée. Parce qu’elle m’offre à lire de l’inconnu. Parce qu’elle est belle. Parce que l’on s’y sent bien. Parce qu’elle est chaleureuse. C’est le Quartier Latin. Je sais bien que je ne peux tout lire. Les piles de livres à lire s’accumulent. Quelle importance ! Un titre me fait de l’œil. Un auteur m’oblige. Les pages pullulent. Les mots s’accumulent. Me densifient. M’enrichissent. Ils me sont nécessaires. Cela coûte cher. Très cher. Mon budget livres augmente d’années en années. Tout est scrupuleusement noté. Chaque dépense. Le total est calculé en fin de mois, puis d’année. J’aime ces petits carnets d’achats. Je les conserve. Mes autres dépenses n’apparaissent nulle part. Va à la bibliothèque, me murmure-t-on. Mais je vais aussi dans des bibliothèques. Sinon, ce serait bien pire. Je viens de recevoir une petite somme en cadeau. Je suis fébrile. Toujours la même question se pose. Un gros livre ? Un très beau livre ? Plusieurs petits ? Réfléchir au rapport qualité/prix ? Suivre mon instinct ? Tout dépenser d’un coup ? Fragmenter ? Patienter un peu ? Je repense à la petite fille que j’étais. C’est la même sensation qui me gagne. Je traverse les âges. Et les livres me traversent. Le bonheur de rapporter un nouveau livre n’a pas de prix.
Solange, ton mode d’emploi pour acheter un ou plusieurs livres me touche vraiment beaucoup !
Merci.