L’art d’acheter un ticket de train dans le bus qui mène de l’aéroport à la gare sur l’application de la SNCF en tenant sa valise à roulettes tandis que le bus file sur l’autoroute en direction de Paris, le bus à accordéon a pris sa pleine vitesse. Cela consiste à appuyer des deux genoux sur la valise afin qu’elle n’écrase pas les pieds de la jeune fille en tong juste à côté. C’est parti, connexion fluide et entrée dans la nouvelle application. Un grand progrès, tout est écrit sur fond noir. Où allez-vous ? Il va au Mans, de quelle gare partez-vous ? De paris toutes gares. Défilent les noms de toutes les gares de Paris, il sélectionne Montparnasse, gare Montparnasse intra-muros, à partir de quelle heure ? Disons vingt-deux heures, il sélectionne le trajet qu’il souhaite, puis valider, puis payer. Le billet est dans le panier, c’est le seul billet qu’il souhaite, il valide le panier, puis entre les informations demandées. Nom et prénom date de naissance — il se dit en même temps que cela fait beaucoup d’infos pour un billet de train — mail, numéro de téléphone, il ne souhaite pas recevoir de courriel de la part de la SNCF et de ses partenaires, il valide, pourquoi son numéro de téléphone ? Information de paiement, il extrait son portefeuille de la poche de son short, pressant toujours la valise en appuyant dessus des genoux, étant debout au milieu du bus, c’est-à-dire dans l’accordéon même, il se tient à la barre en l’enlaçant, celle-ci étant coincée dans le creux de son coude, son téléphone portable dans une main, le porte feuille dans l’autre, il attrape sa carte de crédit avec les dents, remet son porte feuille dans sa poche, prend la carte de crédit, la lève à hauteur de ses yeux, l’éloigne un peu, car les chiffres sont petits et ils brillent, il les déchiffre et de l’autre main les tapes sur son téléphone avec le pouce. Le bus s’arrête à son premier arrêt aux portes de Paris. Le pouce suspendu, il se concentre sur son équilibre et creuse les reins pour se faire plus fin, pour laisser passer les voyageurs qui descendent ici, il interrompt sa transaction. Le bus démarre. Il reprend l’achat de son billet. Son téléphone s’étant mis en veille, il approche l’écran de son visage, mais le téléphone ne le reconnaît pas. Il baisse son masque, le téléphone le reconduit sur l’application et il tape chaque numéro avec attention, le code derrière la carte et valide de l’index en tenant toujours la carte avec les autres doigts, tenant le téléphone de l’autre main et son coude enserrant la barre. La valise roule doucement, il remet un peu de pression des genoux. L’application le redirige vers sa banque qui lui demande de confirmer le paiement. Sa banque ne le reconnaissant pas facialement, il doit entrer son code à quatre chiffres, il est certain de s’en souvenir lorsque sa banque en secouant l’écran et en s’éclairant en rouge, indique que ce n’est pas le bon code. Il ne s’en souvient pas. Il regarde dans ses numéros de téléphone prévus pour cacher ses codes, il n’a pas fait d’entrée pour ce code. Il voit parfaitement ou celui-ci est écrit, dans quel classeur, quelle page, chez lui, dans le meuble du salon, il le visualise parfaitement, l’image en est nette et précise, les deux premiers numéros sont les bons, mais les deux suivants sont ceux de retrait au guichet, tout est précis dans sa mémoire spatiale et visuelle, tout sauf les deux derniers numéros du code de confirmation bancaire. Le bus arrive à son terminus. Les portes du bus s’ouvrent. Il renonce à l’achat du billet de train. Les voyageurs autour de lui lentement descendent du bus en trainant des pieds et cela l’agace. D’un coup d’index il ferme l’application.
(il aurait dû aller faire une photo du lion, ça aurait donné une utilité à l’objet – on l’appelle nino – puis descendre le boulevard, prendre à gauche sur le boulevard au pied de la tour – après, pour trouver quelqu’un au guichet , c’est pas gagné) (il y a d’autres chemins, c’est vrai, peut-être plus court, mais – pour ma part – je préfère celui-là – probablement parce qu’il passe non loin d’une rue où la partie ronde (le haut, en clair) des potelets qui interdisent aux autos de s’y garer est peinte d’un rouge et d’un blanc en souvenir de la Varda – à la fin de sa vie, la cinéaste arborait cette façon pour ses cheveux, ce qui était assez mignon) (bien rentré ? )
C’est à peu près ce qu’il a fait. Il a vu le lion, s’est souvenu les manifestations sur la place. Il a descendu à pied le boulevard Raspail, remarqué qu’il y avait une belle expo à la fondation Cartier puis tourné sur l’avenue Edgar Quinet. Il a pris son billet au guichet automatique de la gare car contrairement à son voisin de bus, il avait un pass mensuel. Bien rentré. Il souhaite que « Il » est bien rentré aussi.
La vie compressive du scripteur voyageur ! Même fictif comment ne pas le plaindre…
Contorsions physiques et informatiques. On a mal pour lui !
Merci Romain pour ton texte un peu haletant !
un trou de mémoire et pfiittt! pas de billet de train. peinée pour lui suite à tous ses efforts. Merci