#40jours #27 | le junkie

Alors ce petit parc là, t’es bien t’es tranquille tu teases ? tu me remarques ou quoi, t’as les yeux à l’envers ? et l’arbre au-dessus, tu crois qu’il te fait des fleurs dans ton état ? c’est pas pitoyable de kiffer la vie comme ça toujours allumé ? c’est le ciel qui te parle tu crois ? les yeux à l’envers faut l’savoir si tu t’vois mieux en couleurs ? t’as le trac là ? tu veux pas improviser pour une fois ? si ça s’trouve t’es plus bas-que tout haut-fort d’ton bas c’est à ça qu’tu penses quand du haut tout en bas ? Tu veux encore dormir ? tu regardes tes doigts à pile ou face t’es déjà dans la transe ? et puis qu’est-ce que tu tiens dans la main, tu fumes encore les doigts de ton dernier amant ? si tu veux des fleurs, y a qu’à demander t’es clair avec toi-même ? t’es sûr que tu préfères pas plutôt t’asseoir avec du monde ? une terrasse, un parc paisible, plus familial, avec des gens qui courent dedans ? quand t’as du monde autour, tu te sens pas plus assimilé mec ? tu veux pas nous chanter une chanson là, genre Let it be ? Ah mais tu crois que je te vois pas venir avec tes cheveux cachés sous ton bonnet ? avec un ciel à trente cinq degrés, tu trouves pas ça un peu bizarre ? et puis ton pantalon en velours là, tu l’aurais pas chopé dans un Emmaüs par hasard ? tu crois que tu fais le poids t’en as pas marre ? de battre la ville au lieu de prendre un vrai chemin mec ? t’as pas l’impression tout de même ?… de mal assurer quelque part ? tu tournes en rond non ? déjà quand tu sors le lait du frigo, tes doigts y tremblent tellement qu’il faut t’y reprendre plusieurs fois et surtout les bras lents, l’ouverture la fermeture du frigo faut que tout soit tellement lent ? et même si t’es l’intello du groupe, ça fait combien de temps que t’as pas lu un bouquin jusqu’au bout ? tu crois vraiment que tu vas t’en tirer sans remuer des neurones ? même si t’es toujours à courir à surfer sur les vagues de béton, tu te rends compte quand même que t’as les jambes couvertes de bleus ? non mais je sais que tu sens rien, mais t’as pas l’impression quand même de te détériorer ? l’anesthésie par les cachetons, t’as pas l’idée de sentir que t’es diminué que ça change la donne ? tu te fais pas confiance, tu te sens pas debout ? t’as pas envie d’essayer d’arrêter ? juste pour voir comme on regarde les choses de biais pour entrevoir des trucs insoupçonnés ? juste par curiosité ? et puis ce banc mec, ça fait pas des mois que tu t’assois dessus ? tu veux pas changer de crémière ? tu veux pas changer pour commencer ? avec ta peau toute ruisselante gonflée toute rouge, tu te sens pas glisser dans le zona mec ? tu veux pas revoir la fille qui t’avait bien guidé, t’avais même commencé ? tu te souviens des premiers jours de la cure mec ? la gentillesse du personnel tu t’en souviens ? le tord-boyau du manque c’était pas si pénible finalement tu t’en souviens ? la méthadone tu t’en souviens c’était lassant c’est ça ? t’aimes pas être reconnu coupable c’est ça ? tu voulais quand même faire moins d’inquiétude dans les yeux de ta sœur tu te souviens ? ça ferait un nouveau départ un nouveau défi tu crois pas ? tu préfères pas plutôt manger là ? t’as pas faim oui je sais mais tu veux pas arrêter de mâchouiller ce machin ? tu te souviens y a pas des trucs que tu aimes ? que tu aimes toujours malgré tout ? tu veux pas m’écouter genre ? si tu te mets debout sur ton banc, t’auras pas un peu l’impression que t’es capable de t’élever ? tu crois franchement que j’en ai rien à foutre de ton arbre et de toi ? tu sens pas que le vent rien que de parler il se met à te frôler gentiment là ? tu penses pas que ta vie mise à pied saurait pas sauver quelqu’un ? tu penses pas qu’un peu d’aide ça te remonterait le cœur à l’atelier ? t’as toujours eu du cœur à l’ouvrage, maintenant tu veux pas le lâcher ton cœur pour penser rien qu’à toi mec ? c’est possible de faire une pause là ? genre tu te moques ou tu me suis là ? si la nuit s’met à glisser, tu vois bien que l’temps progresse non ? tu t’crois surhumain de pouvoir t’décrocher du temps ? on peut échapper à ses lunes tu crois ? tu penses que j’ai tort de parler c’est ça ? t’as pas envie d’un bon bain pour commencer ? les libations tu te souviens ? t’as pas envie d’improviser pour une fois ?  

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec les anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, dessins, compositions sonores...

2 commentaires à propos de “#40jours #27 | le junkie”

  1. Battre la ville, s’anesthesier jusqu’à. Très beau portrait réaliste poignant. Si notre vie consistait à répondre à cette question pleine: comment échapper à ces lunes?