Un jour, il était là comme d’habitude, dans son fauteuil en bois, vociférant, pendant qu’il ruminait ses pensées, puis, du jour au lendemain, plus personne, le fauteuil tout seul sur le trottoir, prêt pour la poubelle qui s’est bien gardée de le prendre car trop gros pour rentrer dans l’orifice préréglé du camion. Elle n’est pas sûre d’avoir compris, elle qui ne dort pas, ses prunelles noires creusées par la fatigue, collées aux vitres translucides, incapables de mensonges, elle qui vit depuis toujours dans la ruelle à sens unique qu’elle contrôle à tout instant du jour et de la nuit, deux cent mètres de maisons dont elle connait les habitants, les habitudes, les trahisons, les mauvais sangs, les querelles passagères ou irrémédiables, elle qui n’a pas besoin de regarder sa montre, parce que les allées et venues de l’épicier, le bruit de la portière de son voisin d’en face, l’aboiement du chien du gars solitaire de l’appartement du dessus, lui indiquent infailliblement le temps qui passe, elle ne sait donc pas comment s’est volatilisé l’occupant du fauteuil de la maison du 6 gauche.
Le fait que le fauteuil se trouve sur le trottoir, vide, attendant le camion poubelle, voulait dire que son occupant était mort. L’occurrence avait été confirmée par la fille du défunt à l’épicier qui lui-même l’avait épanchée dans toute la ruelle sombre à sens unique. Il était vieux, malade, plus toute sa tête, quand les jours de chaleur on l’amenait dans son fauteuil sur le trottoir il injuriait tout ce qui passait devant lui, bêtes ou humains. Puisque personne ne s’est étonné outre mesure, elle supporte seule toutes les incertitudes. Comment n’a-elle rien vu, ni ambulance, ni voiture de pompes funèbres, ni pleurs, ni appels au secours, rien ? Comment s’est-on débarrassé du corps ?
Si elle ne s’était pas querellée avec la fille du défunt pour une histoire d’adultère, elle aurait pu savoir ce qui est effectivement arrivé à l’occupant du fauteuil en bois que l’on transportait sur le trottoir pour qu’il prenne un peu d’air. Elle eut beau enquêter auprès de l’épicier sur les circonstances de cette disparition, la seule chose qu’elle avait pu confirmer c’est qu’il était mort. Mort comment ? Comment l’avait-on évacué de chez lui, puisqu’elle n’avait rien vu, rien entendu ? Où avaient eu lieu les funérailles ? L’épicier qui, d’habitude, répondait volontiers à toutes les questions, eut un haussement d’épaules.
Elle doit être la seule dans la ruelle à savoir ce qui est arrivé au fauteuil en bois autrefois occupé par le vieux qui vient de mourir dans des circonstances pas du tout claires. Si on lui avait demandé, elle aurait pu dire que la gamine du premier 13 est sortie en catimini à l’heure où tous les regards étaient rivés sur le match de foot, a saisi le fauteuil à bras le corps et l’a habilement fait disparaitre chez elle. Cela ne la console pas de ne rien savoir ce qui s’est passé avant, pourquoi dans la ruelle, avide de drames, de spectacle gratuit, on n’avait rien trouvé de suspect à la disparition d’un mort.
ébauches, pistes possibles, orientations diverses du récit
on ne sait pas au bout du compte, on ne sait rien de lui ni de sa disparition
l’image du fauteuil demeure, trop gros pour être absorbé par la benne à ordures comme un sac poubelle
C’est tout à fait cela, on ne saura rien de lui, ce sera un mystère pour la voyeuse et pour nous, les lecteurs. Merci pour ton retour et soutien, Françoise !
On ne sait pas comment le monsieur est mort.
Mais on sait que l’histoire d’hier et celle d’aujourd’hui, dans deux styles différents, sont bel et bien en étroite relation.
Merci Helena pour ta si belle écriture !
Merci infiniment pour ton retour. Non, on ne saura rien ! 🙂
Vais aussi lire ton fait-divers.