D’une main timide, elle écarte légèrement le rideau de coton blanc, derrière lequel elle se dissimule. Elle fixe la boutique juste en face où quelque chose se passe. Il y a un remue-ménage inhabituel comme elle n’en a jamais vu. Une voiture de police, une ambulance, des hommes en uniforme ou en costumes, comme s’ils allaient à un mariage ou à un enterrement. Elle n’y est jamais allée mais elle a vu des photos avec des hommes serrés dans des costumes trois pièces, et puis son père en confectionne dans la pièce à côté, alors elle sait bien que ce n’est pas une tenue de tous les jours. Par la vitrine, comme elle la surplombe d’un étage, elle voit quelque chose de long étalé au sol recouvert d’une sorte de drap blanc, une chaise renversée, des papiers par terre, des gens à l’intérieur qu’elle ne connaît pas, qui se bousculent un peu car ce n’est pas très grand, il y a un flash, ils font des photos, quelle drôle d’idée se dit-elle, qu’est-ce qu’on peut bien photographier là-dedans, c’est une droguerie. Elle voudrait bien entendre ce qui se dit, alors elle ouvre la fenêtre, sans faire de bruit pour que sa mère ne l’entende pas. Il y a des policiers au carrefour qui dissuadent les véhicules de passer par cette rue, et tout autour des badauds s’attroupent, essaient de voir et de comprendre ce qui a bien pu se passer. Elle entend des bribes de phrases : bien mort, plein de sang, circulez s’il vous plaît, c’est le droguiste, vous avez entendu quelque chose, quelle affaire, on comprend pas, on n’a rien entendu… Tous ces mots inutiles qui, elle ne le sait pas encore, envahissent les lèvres, permettent de se donner de l’importance, de dire que l’on était là, même si on ne sait rien, de penser qu’on l’a échappé belle, de se rassurer peut-être et de dire que la vie est parfois étrange. La fillette comprend que quelque chose de grave vient d’arriver, et que sans doute le droguiste à qui elle donnait le bonjour au retour de l’école, quand il se tenait sur le seuil de sa boutique et qui lui répondait toujours avec un grand sourire bonjour Astrid ça été l’école aujourd’hui ? elle ne va sûrement pas le revoir. Il savait son prénom et était très gentil. Sa mère entre dans sa chambre, lui demande d’une voix ferme, de refermer la fenêtre, elle a les yeux rougis, ceux de quelqu’un qui a pleuré, et Astrid ne dit rien, comprend qu’il ne faut rien dire pour l’instant. Que c’est grave. Les questions ce sera pour plus tard.
Astrid est un témoin qui en a sûrement vu trop…
Merci Solange pour ce beau texte à hauteur d’enfant !
Merci Fil pour l’idée!